Entre mes branches

Majestueux, un chêne se raconte.

Du haut de ses 457 années, il évoque des épisodes de sa vie d’arbre ainsi que des scènes de la vie qui l’entoure. Le texte commence par la fin sans qu’on comprenne pourquoi : on voit un tronc scié sur lequel un lucane marche et le texte, dramatique, annonce « ça commence mal » même s’il s’achève par « j’ai bien vécu ». L’histoire à la première personne va être polarisée : entre « mal » et « bien vécu » et le récit déroule rétroactivement la vie bien remplie du chêne.

Dans une mise en page rigoureuse où alternent le texte page gauche et l’illustration page droite, où s’expriment la poésie de la nature, sa force, son mystère. Le sanglier qui menace la jeune pousse de l’arbre paraît très inquiétant, son regard transperce et frise l’animal fantastique. Même le paisible cerf présente un risque pour l’arbre naissant.

Nicolas Michel apporte un soin extrême dans le traitement des éléments naturels, tels les chardons et pissenlits que délaisse le cerf. Règnes animal et végétal se complètent, se répondent, s’équilibrent et de ces images émane un sentiment de paix remis en question par l’orage qui gronde. La croissance du chêne tutoie le ciel et nuages et houppier se confondent presque. Les tableaux d’orage sont particulièrement intéressants puisqu’ils combinent la précision du dessin au trait et masses aqueuses des nuages, traitées en lavis.

L’arbre égrène des scènes de vie en variant les situations, oiseaux vus en gros plans ou en vol, en mouvement ou à l’arrêt. Lorsqu’il devient important l’arbre connaît l’homme, squatteur dans une cabane ou graveur de souvenirs sur le tronc. A la première personne, il mène son récit avec distance et une pointe d’humour lorsqu’il évoque les amourettes des oiseaux ou des jeunes gens, petits drames, une balançoire cassée et des sabots envolés, ou « terribles tragédies », une fouine se dirigeant vers un nid. Le temps s’écoule et on s’endort un peu dans la succession tranquille des saisons jusqu’au moment où soudainement réapparaît l’illustration initiale : tronc scié et insecte avant une représentation intrigante de port présentée ainsi « Mes branches tordues sont devenues droites et lisses ». C’est au lecteur de faire le lien entre texte et image. Le rythme s’accélère, la fin aussi. Sans véritable visée morale ou moralisante, on pourra mettre cet album en regard avec L'arbre généreux de Shel Silverstein et apprécier la singularité de la réflexion raffinée et tendre qu’il construit.