Givre et Grêlon

Les aventures drolatiques de Givre et Grêlon nous transportent dans une région extrême, le Grand Nord, dans le quotidien d’une paire d’opérateurs inattendus, spécialistes d’un tri lui aussi très spécial, celui des « bidules blancs ». Les deux comparses forment un duo burlesque à la Laurel et Hardy, Givre le gentil chef est long et blanc comme un navet, Grêlon le sous-fifre rebelle est rond et blanc comme… un autre navet ! Emmitouflés dans leur pèlerine noire, l’un les pieds en dedans et l’autre les pieds écartés, avec leur face lunaire, ils suscitent instantanément une sympathie amusée.

Pourtant, leurs journées sont bien répétitives et la tâche de trier les bidules, plutôt rébarbative. Dans cet univers figé par le froid, des tuyaux sortis d’on ne sait où, crachent leurs glaçons qui sont destinés à une machine percée d’orifices en forme de triangle, carré, ou rond : une vraie boîte à formes polaire ! Mais gare aux irréguliers : détectés, ils sont aussitôt jetés dans la Boîte à Riens… Jusqu’au jour où un étrange incident va amener Grêlon puis Givre à reconsidérer leur travail : des tuyaux émerge une chose informe, et surtout multicolore. Des glaçons colorés ? Ce serait une première ! Faut-il se laisser perturber ? Non, jamais de la vie !

Cette histoire farfelue est pourtant racontée par Silje Hansen Flemmen sur un ton très sérieux, contrebalancé par l’illustration pleine de fantaisie de Jannicke Hansen. La sobriété du crayon noir est elle-même bousculée par les silhouettes rondouillettes et naïves des personnages, l’apparence fantastique de leurs machines, en même temps très enfantines. Le bouleversement suscité par l’apparition de la couleur dans ce monde faussement géométrique parachève cette combinaison audacieuse ! Ce procédé narratif fondé sur le déséquilibre évoque la figure du Culbuto, une nouvelle référence aux jeux des chambres d’enfant, et permet d’amener une conclusion somme toute inattendue. L’ensemble compose ainsi un album tout à fait original et très attachant, plein d’humour et qui fait réfléchir : doit-on vraiment repousser tout ce qui est différent ?