Heidi

Comment Heidi vivrait-elle dans le monde actuel, bien éloigné de la simplicité champêtre qui caractérise l’œuvre originale ? Que dirait-elle de sa montagne grisonne, si elle voyait que celle-ci était défigurée par la construction humaine ? Dans Heidi, les bédéistes Elmax et Ploy proposent chacun·e un portrait noir et blanc de la célèbre petite héroïne de Johanna Spyri. Mais là, elle est adulte, et vit à notre époque.

La Heidi d’Elmax est née en 2002. Elle débarque dans le village de Maienfeld en jeune femme abîmée, sans sous ni toit. Lorsqu’elle frappe à la porte de la maisonnette de son grand-père, celui-ci lui ouvre, le front plissé et les sourcils froncés. Peu de mots sont échangés, une atmosphère électrique plane, les retrouvailles s’avèrent tendues. Malgré le fait qu’Heidi n’ait pas rendu visite à son grand-père depuis 10 ans, ce dernier l’autorise à rester trois semaines à condition de travailler pour lui. Certes, le réveil à 5 heures du matin pique les yeux, et traire des chèvres au lieu de fumer sa cigarette en écoutant les Pink Floyd ne l’enchante guère. Pourtant, la jeune femme désenchantée renoue avec les lieux, son grand-père, et puis Peter, son meilleur ami d’enfance. Les dialogues courts sont teintés d’humour, les personnages expressifs, et cette Heidi, sous ses airs sarcastiques, n’en est pas moins attachante.

La Heidi dépeinte par Ploy est née en 1940. Nous la découvrons à travers le regard de sa petite-fille, Charlie. Celle-ci lui rend visite et manifeste beaucoup de curiosité à comprendre pourquoi sa grand-mère n’a jamais quitté son alpage. Mais Heidi demeure taiseuse… tout comme lorsqu’elles découvrent sa maison vandalisée avec l’inscription « à mort la sorcière » sur la porte d’entrée. Charlie tente de comprendre la situation. Furieuse de ne pas obtenir d’explications de sa mystérieuse grand-mère, elle part faire un tour. En chemin, elle rencontre le voisinage et récolte des bribes d’informations sur la vie d’Heidi, bien connue dans la région. Charlie réalise l’importance du lien qui unit sa grand-mère à sa montagne. Dans ce portrait, Ploy nous fait basculer d’une temporalité à l’autres en utilisant des styles distincts de dessin. Pour la trame du présent, son trait est plus net, pour les flashbacks, les contours sont estompés, plus réalistes. Ce dispositif permet au lecteur ou la lectrice de se rendre compte des changements subis par le paysage, celui qu’Heidi a connu enfant, et l’actuel.

Réinvestir la vie de ce personnage, véritable symbole d’une vie en harmonie avec la nature, est une belle idée ! C’est aussi un plaisir d’avoir sous les yeux des styles propres à chaque illustrateur·ice, proposant des ambiances et des points de vue différents. Nous garderons le message de cette lecture dans un coin de nos têtes : renouer avec la nature, cela aide à y voir plus clair. Alors, préservons-la… Heidi serait certainement bien d’accord !