Hors-champ

1914, la guerre éclate. La famille italienne de Jolanda, installée en Autriche, doit revenir dans son pays d'origine. L'y attend la joie de revoir des proches – la petite sœur Mafalda, l'ânesse Modestine – mais aussi la misère, l'incertitude. Les hommes partent combattre, puis la mère est arrêtée, accusée de trahison parce qu'elle s'est refusée à un soldat. Jolanda et Mafalda, en compagnie de Modestine, rejoignent une vieille amie de leur mère dans un village voisin. Elles ne se doutent pas qu'entre les bombardements et la maladie, elles vont découvrir un secret de famille.

Composé de plusieurs parties, autant chronologiques que géographiques, le roman suit le récit au passé de Jolanda, d'une rare qualité. Jeune fille entre enfance (à travers Mafalda) et âge adulte (à travers Sandro qu'elle repousse pourtant), cette belle âme courageuse sera meurtrie mais pas aigrie par la guerre. En s'appuyant sur d'autres personnages féminins forts, Jolanda traverse quatre années décisives. Fin 1918, en même temps qu'elle et sa sœur retrouvent leurs proches, elle aura tracé un destin tourné symboliquement vers la vie.

Au-delà de sa belle écriture calme entre tourments historiques et petits moments du quotidien (Modestine n'est pas absente de la vie de famille), l'auteure a eu l'idée d'un formidable dispositif qui vient ponctuer un texte déjà captivant : des cadres de photographies sans la photographie, avec un commentaire circonstancié en-dessous. Ces intermèdes offrent une respiration, apportent d'autres éléments narratifs, mais surtout renvoient à ce fameux titre si bien trouvé de « hors-champ ».

L'ouvrage a obtenu le prix Strega Jeunesse en 2016 dans la catégorie 11-15 ans. Ecrit en 2014, il est pour moi un des plus beaux livres que j'ai lus cette année.

« Des tas de gens qui n'avaient rien à voir avec la guerre étaient parmi les victimes. A moins que nous ayons tous à voir avec la guerre. La guerre est une bête aveugle, qui ne regarde pas si on a ou non un uniforme sur le dos. Et elle venait de nous mordre, se remplissant la gueule de sang. » (p. 46)

« Pour [Antonio, parti combattre], la guerre était comme une de ces photos avec un sujet au premier plan, bien net, et plein de choses autour : lui voyait bien net les batailles, les commandants, l'ennemi, le courage, la gloire. Nous, nous étions en arrière-plan, flous, estompés, hors-champ. » (p. 87-88)