Illustratio

Revêtu d’une cape et d’un large chapeau, un mystérieux héros s’avance vaillamment sur sa fidèle monture. Alors que le paysage environnant se modifie au fil des pages pour se réduire à un simple ciel et une terre plate, les couleurs des illustrations cèdent la place au noir-blanc. Le personnage descend de sa monture – un chien – qui se détache subitement en deux : SCRATCH ! Les nuages, les herbes, le soleil, les moitiés du chien deviennent des formes, animées et ré-interprétables à l’infini. L’homme (en réalité l’alter ego de l’auteur-illustrateur) choisit la direction qu’il souhaite donner à leur jeu et règne sur ce petit monde imaginaire depuis son trône lourdement orné. Mais avant qu’il ne prenne possession de ce pouvoir, avant qu’il n’adopte les traits d’un mousquetaire moustachu, l’illustrateur a commencé par dessiner... et découvrir ce nouveau monde « fait de traits, de hachures et de vide. » Repartons donc dans le passé.

Dans ce splendide album, Jean-Baptiste Bourgois décrit son parcours d’illustrateur depuis ses premiers doutes, idées et échecs, jusqu’à la rencontre initiatique avec ses propres héros (dont Bob Blechman, Quentin Blake, Tove Jansson, Tomi Ungerer) qui l’emmènent se balader dans leurs univers imaginaires respectifs. Lorsque l’enseignement des aînés prend fin, c’est le cheminement créatif du jeune homme qui s’ébranle, notamment à travers l’élaboration de sa « cape », un accessoire extérieur qui distingue Bourgois des autres, qu’on comprend être l’unicité de son style. Poussé dans un atelier de couture, l’auteur-illustrateur confectionne divers tissus plus ou moins réussis jusqu’à ce qu’il réalise enfin sa couverture personnelle. Rassemblant en un seul morceau les images qui lui tiennent à cœur, c’est un rappel émouvant de la couverture sous laquelle il se blottissait pour se raconter des histoires lorsqu’il était petit.

Alors que Bourgois, désormais muni de sa cape, part à la découverte des paysages et des habitants de son univers, il tombe sur une pierre qui aboie. Grâce aux soins qu’il lui prodigue, la pierre s’étire pour devenir Bertilie, la monture-chien aperçue en début d’album. Son flair développé (l’intuition ?) s’avérera non seulement un guide précieux, mais également un compagnon de route encourageant et sage.

Un matin, Bertilie accompagne Bourgois vers un intriguant point d’eau-portail menant aux « habitants » de son univers, une étape importante qui se marque visuellement par le retour des couleurs. Autant l’illustrateur est émerveillé par la richesse des créatures qu’il y rencontre, sa première impulsion sera de les ordonner et les gouverner. Son discours de couronnement fera fuir les formes et les objets de son imaginaire, qui refusent d’être ainsi maîtrisés. À la manière du renard qui demande au Petit Prince de l’apprivoiser, Bertilie lui enseignera l’importance de la patience. Bourgois comprend alors que son rôle tient davantage du chef d’orchestre, qui se joue dans un mouvement d’échange et non de domination.

On trouve dans cet étonnant et difficilement classable ovni de « bande dessinée-roman graphique-album autobiographique » de nombreuses leçons à saisir, quant au développement de son art, qui se révèlent autant représentatives du cheminement de l’humain qui (se) cherche. La finesse du trait aérien s’entremêle à la poésie de l’écrit, deux moyens d’expression que l’illustrateur de Violette Hurlevent et le jardin sauvage manie ici dans un savoureux dosage de magie et d’originalité. C’est beau, c’est inspirant et on y revient avec un plaisir à chaque fois renouvelé. Un immense coup de cœur !