J’ai la haime
L'avis de Ricochet
Raoul, Sam et BB sont trois copains de 13 ans, qui aiment se retrouver au centre commercial pour tenir le mur. Le lendemain de Noël, ils observent d’un œil critique le flot de consommateurs qui défile. Mais leur journée se retrouve d’un coup bouleversée : les trois garçons surprennent la mère de Sam avec un grand Antillais qui lui offre une bague et lui embrasse la main. Sam n’en revient pas : cet homme, c’est Steve, le futur époux de sa tante ! Il propose à ses amis de se laisser enfermer dans l’Igloo, et de régler son compte à Steve, qui est de l’équipe de nuit. Après des heures passées dans le placard KLAMS, nos trois compères errent entre les meubles aux noms nordiques. Un bruit les surprend, mais ce n’est pas Steve : c’est Martin, le « essedéèfe » qui tient le radiateur en face de leur mur habituel. Tous les quatre s’offrent un festin de roi, et échangent souvenirs et projets. Les heures passent, et les jeunes commencent à appréhender l’ouverture du magasin…Le lendemain, Sam, Raoul et BB se retrouvent devant leur mur, chacun avec une marque sur la joue. Sam explique le malentendu, Steve souhaitait juste l’avis de sa future belle-sœur quant au choix des alliances. Les trois garçons sortent penauds mais grandis de cette aventure.
Dans ce roman, ce sont trois jeunes qui traînent au centre commercial et en « tiennent les murs » qui sont les héros. Chacun d’entre eux a une vie, une famille, une personnalité. Le choix de ces personnages est intéressant car on a tendance à stigmatiser ces jeunes-là. Ici, on nous rappelle l’air de rien qu’il s’agit d’individus. Non mais.
D’autre part, le cadre du huit clos est très original et donne lieu à des situations inattendues. Le magasin, si attirant la journée avec ses beaux meubles aux noms imprononçables et ces babioles inutiles, devient froid et angoissant après la fermeture.
La rencontre avec Martin, le « essedéèffe » est l’occasion de faire tomber quelques idées reçues sur les sans-abri.
Le point de vue adopté est celui de Raoul, qui navigue entre la description du présent et des anecdotes sur sa famille et celle de ses amis, des sentiments personnels etc. Cela permet une aération dans le récit, sans laquelle le lecteur aurait ou lui aussi se sentir enfermé. Le style est familier, proche de celui des jeunes, sans caricature. Le personnage de Raoul est touchant par son humour et son idéalisme.
L’intrigue s’appuie sur l’amitié, la famille et la solidarité, et tombe un peu dans l’écueil des bons sentiments. La collection « Charivari » se propose de « faire chavirer les idées toutes faites », ce qui donne un aspect un peu fabriqué au roman.
D’autre part, on trouve à la fin du livre un test « as-tu le sens de la famille », qui appuie un peu plus le côté artificiel, en faisant passer le message avant l’aspect littéraire.
Bien qu’un peu fabriqué et moralisateur, on passe un très bon moment à lire ce roman original, bien écrit et très drôle. (C. G.)
Seconde critique:
Raoul, Sam et Bernard Bertrand (BB, le Gros) forment un trio de copains. Leur solidarité se met en marche lorsque la mère de Sam est aperçue en compagnie trop proche, suspecte, du futur oncle de Sam. Enquêtant sur cette relation, les amis se font enfermer malgré eux dans un grand magasin de meubles, Igloo. Ils vont y passer la nuit du réveillon...
Le narrateur Raoul est en quelque sorte le leader du groupe très soudé (ils se disent frères). Il apprécie les mots, et parle souvent en slamant, en utilisant des jeux de sens ou de sonorité, des répétitions : « […] et de l’amour, toujours de l’amour toujours. Quand on n’en pouvait plus, BB et moi, de nos familles déracinées enracinées explosées explosives, on allait chez Sam. » (p. 26). Ce sont des adolescents, intéressés par les sœurs des autres, et « De toute façon, un monde sans filles, ce serait comme un monde sans chocolat chaud, sans croissants, sans fraises, sans pâtes, sans dauphins, sans nuages roses, sans petits chats, […]. » (p. 77). Mais ces grands enfants, enfermés dans l’Igloo (lieu de consommation massive qui ressemble furieusement à un Ikéa), ne sont pas très fiers et se rappellent avec nostalgie des souvenirs, ou évoquent des petites manies de leurs proches. Cette nuit leur donne l’occasion de se rendre compte que, si les parents et la fratrie sont exaspérants, ils sont aussi indispensables. Le clochard Martin, hébergé par le vigile dans le magasin, sert de contre-point supplémentaire à ce plaidoyer pour la famille. Savoureux, drôle et sensible, J’ai la haime offre une idée précise des incertitudes adolescentes, sans caricature excessive. (S.P.)