La maman qui s'absentait

C’est un album de belle facture que Stéphane Martelly et Albin Christen mettent entre nos mains ; un ouvrage d’une rare élégance dans lequel le noir et le blanc défilent sur un parterre de papier chiffon. Et l’objet est à la hauteur de son contenu : les mots s’y entremêlent avec douceur et poésie dans un graphisme travaillé. Les propos raffinés de l’auteure haïtienne s’unissent à la sobriété du trait de l’illustrateur dont les fidèles personnages, visage toujours allongé, écarquillent leurs yeux sur un monde teinté ici d’exotisme.
Deux voix – exprimées dans une écriture tantôt typographiée, tantôt manuscrite – échangent leur perception d’une situation douloureuse : celle d’une maman s’en allant régulièrement « revoir des choses magnifiques et monstrueuses », dialoguant avec son enfant terrifié par ses absences. Et l’on ne saura pas plus que son fils où part cette mère, devinant seulement qu’elle s’éloigne vers un ailleurs qui n’a rien de physique, l’esprit habité par un passé délicat :

« Elle arpentait des rues où elle n’existait pas.
[…]
Je la regardais fort
Mais mon petit regard glissait sur ses grands yeux
Elle me souriait
Mais ne me voyait pas dans ce sourire »

Un jeu de mouvements anime les pages construites par Albin, subtil symbole d’une présence maternelle emportée dans un tourbillon dévastateur. Les mots disent, eux aussi, combien souffre ce fils à qui sa maman échappe, bien malgré elle :

« Et moi j’étais tout seul
Tout seul
A attendre qu’elle ne revienne peut-être
De cette absence
Qui la ravissait
A mes yeux
A mon cœur
A mon amour infini »

Il y a aussi et surtout tout ce qui n’est pas évoqué explicitement. Tout ce qui rend encore plus beau cet album, mais qui peut aussi compromettre son accessibilité aux jeunes lecteurs. Puis, il y a encore l’espoir… L’espoir d’un enfant de voir bientôt sa mère lui faire un signe « pour habiter un monde compromis, un monde vaguement à mi-chemin qui ne serait qu’à [eux] ».