La ville grise

Dans la ville où se trouve la nouvelle demeure de Nina, des gratte-ciels vertigineux dominent un entrelacs d’autoroutes où file un flot ininterrompu de voitures. Boulevards et avenues balafrent le paysage urbain qu’elle observe depuis sa chambre. Mais ce qui dérange le plus Nina n’est pas une planification urbaine qui évoque bon nombre de grandes villes nord-américaines dans lesquelles béton et bitume grignotent de plus en plus les espaces verts. Ce qui la gêne est la grisaille morose suintant de tant de bâtiments gris, de véhicules gris, de gens vêtus de gris. Dans cette ville aux mille-et-une teintes de gris, pas une touche de couleur en vue, excepté le ciré jaune de Nina qui détonne comme un cri de résistance. Une résistance qui se construit petit à petit, subversion après subversion, jusqu’à renverser l’écrasante présence du gris.

Les illustrations, à fonds perdus, traduisent bien l’ambiance pesante dans laquelle évoluent Nina et ses ami·e·s. Mais elles travaillent également à révéler ce que l’auteur ne dit pas, prolongeant le texte et guidant l’interprétation dans un dialogue riche de sens avec l’écriture. Entrecoupant le texte là où l’on ne s’y attend pas, comme pour bousculer les attentes des lecteur·trice·s, les illustrations s’imposent et forcent l’attention – un procédé intriguant et ingénieux qui demande de ralentir pour mieux appréhender le récit.

S’il s’agit, en surface, d’une aventure en quête de couleurs disparues, une lecture plus approfondie révèle un monde dystopique et inquiétant : propagande, intimidation, répression, surveillance ; l’auteur dépeint ici les rouages d’un régime autoritaire. Et décrit la meilleure façon de le combattre : former une communauté pour résister, encore et encore, malgré la violence, malgré les tentatives de division, malgré la peur.

Un livre important à l’heure où de plus en plus de régimes politiques se durcissent et glissent vers l’autoritarisme.