Le bord du monde

Massif, placide, mais peu souriant, occupant deux pages, un hippopotame regarde le lecteur (p.117). Une sur le dos, une sous le ventre, deux tranches, réunies par une ficelle. Coincé dans l’angle, la clé de l’image, « Recette du sandwich à l’hippopotame » : douze vers, mode d’emploi où nous comprenons le problème et pourquoi l’hippopotame fait grise mine ! Tout le charme de cet album réside dans la complicité qui s’établit entre un texte le plus souvent incongru et un dessin sec. Exubérance, truculence, fascination du grand, du gros, du géant où abondent hippopotame et baleine, les illustrations saugrenues telles le chien à deux queues ou les pantalons dansants, intriguent. Il y a du délire dans la coproduction du sens entre texte et image. En haut, en bas, au milieu de la page, apparaissent des personnages dont on ne voit que les yeux, dont les têtes volent, dans des mouvements saisissants, parfois caricaturaux à la Crasse-tignasse ou échappés de la famille Fenouillard ou de Ronald Searle. Dans un bric-à-brac réjouissant, ces poèmes rédigés pendant une vingtaine d’années reprennent des thèmes traditionnels de la culture enfantine Alice, le joueur de flûte, Paul Bunyan mais aussi tous les thèmes de l’enfance : qui croire Maman ou Dieu ? Que faire quand on a peur du noir ? Manger ou être mangé ? Grandir ou non ? Les formes variées comptines, bouts rimés, balades abondent de trouvailles, d’inventions sonores, et sont à lire, en français dans une époustouflante traduction de Françoise Morvan… Cette édition rend compte de la richesse de Shel Silverstein et lui donne la place qu’il mérite. A lire à toute heure et à tout âge !