Le fantôme de la tasse de thé

Tout commence par une vraie légende japonaise, rapportée par un occidental au début du XXème siècle. Elle est inachevée : il s’agissait pour trois auteurs de la terminer de la façon dont ils le voulaient.

Il était donc une fois un wakato (un homme au service d’un samouraï) buvant une tasse de thé pour se reposer. Au fond, il voit le visage d’un homme beau et jeune, mais décide quand même de boire tout le thé. Plus tard, il rencontre l’homme du reflet et le transperce de son couteau. Trois serviteurs de ce samouraï blessé promettent alors de venger leur maître. C’est la fin du conte originel…

Jean-Philippe Depotte reste en continu dans la veine de départ. Il imagine un samouraï commettant une indignité lors d’un combat et devenant fou de penser que quelqu’un l’a vu dans cette situation délicate. Le guerrier se fait assassin pour garder son secret et s’enlaidit, tandis que son reflet reste magnifique. La fin sera tragique.

Nathalie Zimmermann explore un registre romantique et fantastique. Le wakato fait des rêves dans lesquels il expérimente la vie du samouraï-reflet. Comme il pressent qu’elle finira mal, il essaie vainement de ne plus dormir. Las, le samouraï et son amante se suicideront pour se retrouver dans la mort, ceci avant que l’homme-reflet et le wakato n’échangent leurs vies au cours d’un combat. Complexe et virtuose, la fin remplit d’effroi.

Jérôme Noirez choisit de s’émanciper de l’histoire de départ et nous propulse dans notre siècle. Il raconte deux garçons, dont l’un aime l’autre sans retour, jusqu’à en mourir. Mais le fantôme du jeune homme reviendra évidemment hanter l’autre dans une tasse de thé… Rejet de soi et culpabilité des regrets, le récit laisse un malaise tout à fait contemporain.

Avec une proposition déjà en soi captivante, les trois auteurs brodent donc des suites dans des styles très différents. Pourtant, ils restent tous fidèles d’une part à des éléments concrets (la tasse de thé, le reflet), d’autre part à un certain esprit : oui, un homme peut mourir de honte, pour conserver ce qu’il pense être son honneur aux yeux de la société. Un joli exercice, illustré qui plus est par trois artistes différents (même si j'avoue avoir peu goûté les dernières images).