Les enfants rats

Quel est ce monde délétère et déshumanisé qu’imagine Françoise Jay, situé dans un futur proche ? Pollution, misère, analphabétisme, violence, répression, y règnent au quotidien et seuls y échappent les nantis, protégés dans leur Zone Riche. On a dû abandonner les transports aériens faute de carburant ; le chômage massif a jeté des milliers de familles dans les rues, qui n’ont plus accès aux soins ni à l’éducation, et les enfants abandonnés se sont réfugiés sous la ville, dans les égouts. On les appelle les enfants rats. Ils y survivent en hordes dominées par des chefs brutaux ; les filles y sont violées et considérées comme des marchandises. Ces enfants ont oublié leurs noms de famille, ne savent plus lire ni écrire, ne connaissent plus aucune règle de vie en société sinon la survie et la violence. Quand la police parvient à arrêter quelques-uns de ces rats, elle les emmène dans des centres de rééducation ou bien les fait travailler.
Irielle a vécu quelque temps dans les égouts, mais lutte pour ne pas devenir une enfant rat. Elle a 17 ans, se rappelle ses parents, sait lire et écrire, lit tous les livres qu’elle peut trouver, et reste à l’écart des hordes et des gens de la surface. Elle élève deux enfants abandonnés, Jode, 6 ans, puis Moïsa, un bébé recueilli dans l’eau putride des égouts. Elle a aménagé un refuge dans un avion, où elle trouve un peu de répit avec sa famille. Elle rencontre Nolane dans les égouts, un sauvage qui n’a pas tout à fait abandonné son humanité. Ensemble, ils vont faire des projets d’avenir, en surface.
En surface, il y a tout de même des gens qui résistent, dans l’ombre du pouvoir autoritaire. Smog, le médecin qui soigne tous les démunis, et sa femme ; Fraider et Virgilia Rick, propriétaires de la ferme où Irielle vient voler du lait et des œufs pour ses « enfants ». Ils œuvrent pour un monde meilleur, où l’humain serait à nouveau au centre ; ils organisent les réseaux, coordonnent les luttes, attendant patiemment que le pouvoir vacille sous la pression du peuple …
Ce roman est magnifique et se lit d’une traite avec beaucoup d’émotion. Il passionnera aussi bien les adolescents à partir de 12, 13 ans, que les adultes. On y retrouve certaines des préoccupations que Gemma Malley exprimait dans ses deux romans publiés chez Naïve, La Déclaration, puis La Résistance.
F. Jay traite son sujet avec finesse, sensibilité et tendresse, même si le monde qu’elle nous raconte est sombre. Mais ce monde est-il si éloigné du nôtre, où les enfants-rats existent réellement à Moscou par exemple ou dans d’autres grandes villes de la planète ? Elle ne fait que pousser à l’extrême toutes les plaies qui nous rongent aujourd’hui et qui pourraient faire mourir l’humain en nous. Heureusement, les personnages qu’elle nous fait aimer sont des résistants, chacun à leur manière, qui aspirent à la lumière, à la connaissance et au partage. Ce roman est en cela un message d’espoir et une excellente raison de croire à la force des mots et des livres !