L'étrange collection de Mamita

Étrange est un qualificatif qui convient bien à cet album. Son aspect visuel foisonnant et le manque de clarté immédiate de sa structure textuelle brouillent dans un premier temps son déchiffrement. L’effet d’étrangeté provient aussi des personnages évoqués, tous un peu excentriques. Les premières pages introduisent les figures principales: Yvette et sa grand-mère. Avec son front tout ridé, sa tignasse grise frisée, sa chemise de bûcheron et ses chaussettes dépareillées, Mamita contredit le cliché de la vieille dame à chignon, experte en confitures. Un dialogue s’instaure entre elle et la fillette, qui va servir de fil rouge à la narration. Bâton en main, les deux protagonistes s’engagent dans une promenade concrète en forêt et - au gré de leurs tours de parole - dans un voyage fictif, puisque Mamita est une passeuse d’histoires. Un changement de typographie permet de distinguer les passages correspondant aux récits qu'elle brode, sur la base de ses souvenirs personnels.

L’articulation générale de l’album fait s’alterner des planches entièrement remplies des peintures fourmillantes de détails de l’illustratrice Lisbeth Renardy et des vignettes plus univoques mettant en évidence les objets spécifiques à repérer. Elles incitent à explorer les images en suivant du doigt les éléments d’une même série : cailloux, poissons, pères Noël, nains de jardin, chats, pingouins, bouts de tissu, lampes, étoiles ou encore perruques. On l’aura compris, le sujet principal de cet album est la pratique de la collection. Art ou folie ?
Dans ses histoires, Mamita apporte une explication, somme toute, assez psychologique à la manie de collectionner : elle voit cette passion comme motivée par la crainte de s’égarer, une attirance particulière (pour l’eau), un phénomène de rivalité, le besoin de réconciliation avec la nature, la peur du noir, le désir de savoir ou encore le goût de la variété. Comme Luigi, l’amoureux des cailloux, la senior considère ce qu’elle collecte comme une aide contre les trous de mémoire. Ces « trucs » lui sont utiles pour retrouver le fil de ses pensées et de ses souvenirs, tout comme le flair du chat et du chien des voisins lui a permis, avec Yvette, de « pister le chemin du retour ».

En creux, apparaît aussi une relation de tendresse et d’interdépendance entre la fillette, au regard encore vif, et son aînée, riche en expérience et en souvenirs. L’imagination débordante de Mamita contrebalance le manque d’originalité de ses contemporains. C'est ainsi qu' Yvette lance à Papito : « Tu ne mets pas de poésie dans tes histoires, elles sont plates et sans saveur, comme du pain sec sans beurre ! ». L’album de Thomas Medard s’inspire de véritables personnalités de l’art brut. Les noms de ces collectionneurs sont mentionnés en fin d’ouvrage. Exemples déroutants ?