Pourvu que l'on danse comme un jour de chance
L'avis de Ricochet
« Quand j’ai un caillou dans mon soulier, je le garde car je me dis que c’est le seul moyen qu’il a trouvé pour voyager » Qui parle dans cet exergue ? Une narratrice externe qui observe l’action ? L’autrice-illustratrice ? Peu importe, cette phrase inaugurale lance le récit en mêlant situation vraisemblable et irréelle.
Dans un terrain vague, Omar, jeune comédien répète son rôle de génie de la lampe et s’entraîne à dire une phrase de remerciement à Aladin : « je t’offre ma gratitude éternelle et un vœu à exaucer » « A ses pieds, des tas de cailloux, …, tous se mirent à rêver ».
Sur la double page suivante, Natali Fortier la constelle de visages-cailloux, côte à côte, tête à tête, on les découvre, palpitants, chevelus, moustachus, rêveurs ou étonnés et l’histoire va nous révéler la personnalité de chacun et le rêve qui l’habite.
Le premier personnage, le crâne poli comme un œuf et qui « crevait l’écran » dans le tas de cailloux, se rêve en coiffeur. Avec ses grosses lunettes, son nœud papillon et ses grands ciseaux, il est joliment décalé. On perçoit l’humour de l’autrice dans ce personnage paradoxal et dans l’affectation des beautés qui patientent au salon. On découvre également le principe d’humanisation des cailloux ; Natali Fortier les personnalise avec des vêtements qui poursuivent les lignes tracées sur les cailloux. Le plus bel exemple est le port élégant et la petite tête expressive du chien de salon qui semble tout droit sorti d’un aristocratique tableau anglais.
Page suivante, nous faisons la connaissance d’Armand, petit poucet rêveur, sous la fourchette menaçante de l’ogre, au long visage inquiétant et que ni son petit chapeau ni son maillot rouge ne rendent sympathique.
Ensuite, c’est Albertine qui entre en danse et c’est elle qui donne son titre à l’album. Elle est une danseuse effrénée et sa robe multicolore entraîne un danseur, une enfant qui se prêtent au jeu « pas d’importance pourvu que l’on danse comme un jour de chance ! » La poésie de cette déclaration née de l’association des mots et des images qu’elle soulève, touche le lecteur qui va se prendre à rêver. Un vœu, et un seul ! Pour quoi faire ? Voler pour certains, devenir repère sur le chemin pour un enfant égaré pour un autre et resurgit le Petit Poucet ; avoir un enfant et « l’aimer, l’aimer, l’aimer… »
Après cette phase de rêves positifs et doux, s’ouvre une autre où les cailloux rêvent plutôt de vengeance ou de revanche contre les humains qui les écrasent, en devenant une hideuse araignée multipattes aux très mignonnes petites chaussures rouges (pour calmer l’angoisse que suscite son visage fermé ?), ou qui ne voient rien… et qui seront expédiés vers la lune. Le dessin de Natali Fortier joue formidablement avec les expressions, les formes et les couleurs.
Loin de ces vilenies, Carmen rêve de mariage. Elle est bien accompagnée par ses amis et ses invités. Natali Fortier invente des personnages qui étonnent et changent de tête comme ils changent de costumes : la belle Carmen se transforme en personnage moustachu, et où est passé l’ami Pierrot ? Le cortège est au cirque et le tableau des spectateurs sagement installés est d’une grande beauté même si l’épilogue est un peu rude… Le petit théâtre de l’autrice-illustratrice prestidigitatrice se ferme. Un tas de cailloux est un tas de cailloux. Est-ce sûr ? Un album pour considérer le réel d’un autre œil et une formidable affirmation que la liberté de création est dans le jeu des codes respectés, transgressés, bousculés. Qui sait, peut-être que nous ne regarderons plus les cailloux de la même façon ? Natali Fortier nous y invite…
Présentation par l'éditeur
Suivez la piste des cailloux singuliers de Natali Fortier. Vous y rencontrerez Pablo, le coiffeur excentrique, vous y croiserez Carmen, en lune de miel avec ses sept maris et rirez à gorge déployée de l'Ogre avec le Petit Poucet... Vous découvrirez ainsi une foule de personnages, véritable « famille » que Natali Fortier a récoltée depuis son enfance en parcourant le monde et en contemplant la voie lactée. Plus jamais vous ne verrez les cailloux de la même façon. Bienvenue en leur compagnie !