Toubab

Rendre compte d’une expérience cruciale vécue par elle-même à l’adolescence, c’est ce qu'entreprend Núria Tamarit dans Toubab, publié aux éditions des Aventuriers de l’Etrange.

Dans cette auto-fiction, comme elle l’explique dans l’entretien accordé à Ricochet (octobre 2022), cinq chapitres composent le carnet de bord de la découverte d’une société étrangère, dont elle va peu à peu apprivoiser l’étrangeté. Nous sommes projetés dans cette « révélation » : en franchissant les frontières, on ne découvre pas seulement les autres « étranges étrangers » de Prévert, mais aussi – et surtout – soi-même. La question de Montesquieu « Comment peut-on être persan ? » est toujours d’actualité. Ce que découvre Mar, l’héroïne, ce n’est pas seulement la différence des autres, africain·e·s, mais aussi sa singularité de jeune européenne, dans le regard des autres, ce que laisse transparaître le nom « toubab » (signifiant « blanc ») qui la désigne. Elle apprend également sa dépendance à des modes de vie qu’elle n’a jamais interrogés, modalités de repas et pratiques de toilettes, dont l’absence se fait cruellement sentir et, surtout, son addiction à internet !

Le découpage narratif suit la progression de ces découvertes. Arrivée avec sa mère pour construire et installer une bibliothèque, la tête bouillonnante d’idées, comment Mar peut-elle tenir compte du réel ? Le chapitre deux « Au secours ! » cumule les difficultés éprouvées à partir de ce choc culturel. Peu à peu, avec Astou, son amie, et Khadim, une sorte d’interprète, Mar va entrer en dialogue avec l’environnement et écouter le monde vibrer différemment : se marier jeune, vivre avec le paludisme, partir ou rester, toutes ces questions qui agitent si fort les sociétés africaines et leurs conditions sociales, éloignées de la nôtre, résonnent.

Núria Tamarit alterne toute forme de vignettes, des dessins pleine page, où éclate le soleil ou la nuit étoilée, et des petits formats sur un détail, un visage, un stand du marché. Les couleurs rendent compte du velouté de la mangue ou encore du chatoiement des tissus (en particulier ceux de la couverture). La fantaisie explose dans les images de danse, le mouvement désarticule les corps et on suit le récit allègre entre émerveillement et auto-dérision. Pourtant, des observations s’imposent mine de rien : dans une même image sont juxtaposés les pieds chaussés et les pieds nus, et les sombres images de pirogue où des jeunes s’enfuient impressionnent… Avec délicatesse, l’autrice signale les clichés et s’efforce de les minimiser : calmes et sereins, les Africain·e·s ? Peut-être, mais entre idéalisation et dure réalité, que faire ? Quelle place pour « l’humanitaire » ?

Un album tantôt joyeux, tantôt grave, retraçant un récit initiatique, au contenu riche et intéressant, à l’habileté graphique impressionnante et que l’on referme, le cœur un peu serré.