Un abri

Pour ce bel album au format à l’italienne, Adrien Parlange a choisi un cadre minimaliste : une double page inondée de soleil, avec en son centre un genre de rocher pointu comme une flèche de cadran solaire. La lumière se réverbère sur chaque couleur de fond passant de l’orange soutenu à une palette de variations qui tirent de plus en plus vers le jaune du plein midi, pour passer à un camaïeu de roses de plus en plus profonds jusqu’au violet mat de la nuit. L’aspect satiné du papier fait scintiller la couleur comme le sable dans le désert, et le contraste ombre/lumière augmente son intensité. Ainsi construit-on un album d’atmosphère… 

Dans ce site désolé et désertique, l’ombre projetée du rocher fabrique un abri évolutif dans lequel se réfugient d’abord une fillette qui s’installe dans la longue flèche d’ombre, puis un serpent, aïe ! l’ambiance se tend, et enfin un renard « la langue pendante et le pelage en feu » : un joli clin d’œil au trio d’un autre conte immémoriel du désert, Le Petit Prince. Il va falloir cohabiter, à défaut de s’apprivoiser, et se contorsionner comme l’y oblige cette ombre qui se ratatine sous le soleil de midi. Alors surgit un lièvre, faites place ! Une autre ombre se lève, celle du conte énumératif de La Moufle, comme un reflet glacé de cette aventure-là. 

Et en effet, alors que la lumière baisse, et que l’ombre reprend page après page son allure de pointe de flèche, Adrien Parlange convoque un bestiaire multiple, qu’il fait souple et rompu à la gymnastique, ou lourd et peu mobile. L’ensemble s’accointe, se superpose, s’ajuste, et s’adapte en un cocasse jeu d’équilibres. Dans un esprit d’harmonie qui force le respect, chacun se fond dans la même masse en prenant à son tour la teinte grise de l’ombre, et l’artiste découpe cet espace circonscrit en une frise de broderie délicate, comme un théâtre d’ombres chinoises. Frrt ! Un coup d’aile d’oiseau, et la pyramide s’effondre dès l’instant où la page devient violette, au crépuscule. La « petite troupe joyeuse » et désormais « solidaire » s’en va rejoindre les contreplats obscurs comme le manteau de la nuit.

Comme un habile marionnettiste, Adrien Parlange joue des ombres et de la lumière pour un moment de poésie contenu, inspiré, et partagé.