Un chien dans le ventre

La mère de Jonas Nilsen est en prison depuis six ans. Elle a tué un homme dans un accident alors qu’elle conduisait en état d’ivresse. Depuis six ans, le garçon vit avec son père, un homme bourru, silencieux et désemparé, dans un appartement sale et moche. A présent, Jonas compte les jours. Sa mère sort bientôt. Mais Jonas est très inquiet car il va devoir arrêter « d’enjoliver » -c’est le terme qu’il emploie. Lors de ses visites à sa mère, il lui a raconté qu’il allait bien, qu’il avait une petite amie, qu’il a appelée Bobby, beaucoup d’amis, qu’il était délégué de classe. Il fallait rassurer sa mère et l’aider à survivre en prison. Mais, en réalité, Jonas ne va pas bien du tout, il se sent différent des autres, mal dans sa peau et sa vie, mal avec son père. C’est un solitaire qui encaisse les coups durs, qui subit les moqueries des autres. On le traite souvent d’obsédé sexuel. Il n’a personne à qui se confier vraiment, même si deux adultes essaient de l’aider, chacun à sa façon, bien maladroitement : son professeur principal, Marius, souvent dépassé par les événements, et Persson, l’ami de son père, qui vit en marginal lui aussi avec sa chienne alcoolique. La rencontre avec Tone, nouvellement arrivée au collège, lui redonne espoir, un temps. Un espoir vite avorté. Alors, Jonas compte les jours et guette « le monstre qui vit tout au fond de son ventre. Personne ne peut le voir. Il ne reste plus qu’à le lâcher. Ouvrir grand la bouche. Advienne que pourra. »
Ce roman, qui s’adresse à de jeunes adultes, explore ce temps particulier qu’est l’adolescence et la difficulté de se construire, de devenir adulte lorsque l’on se sent différent, au sein d’une famille en déliquescence marquée par un drame affreux. La Norvège dépeinte ici est bien loin des clichés et des paysages magnifiques des publicités de voyage : c’est un pays gris et dur, où les individus doivent lutter chèrement pour exister, où la misère existe et endeuille les êtres. L’écriture de Hilde Hagerup accentue la noirceur du propos : sa langue est âpre, rude et directe. Elle sait dire l’indicible, avec une grande sensibilité.
La fin de ce roman hyperréaliste (comme les auteurs nordiques savent les faire) apporte toutefois une petite note d’espoir. On peut penser que Jonas s’en sortira. Mais le chemin qu’il doit emprunter sera sans nul doute bien long et difficile.

Un petit mot pour saluer la qualité plastique des romans publiés par Les Grandes personnes. Tout y est soigné : les couvertures sobres et impeccables, la typographie et les pages arrondies.

Née en 1976 en Norvège, Hilde Hagerup est l’auteur d’une œuvre très remarquée et souvent récompensée. Un de ses premiers romans, Quelque chose que je regrette, est paru au Seuil en 2005. Un chien dans le ventre a pour sa part reçu en 2007 le prix du Ministère de la Culture norvégien du meilleur roman adolescent.