Un pas à la fois

Le neveu de tante Agathe vit dans l‘appartement de la défunte au sixième étage sans ascenseur et suit de façon obsessionnelle le programme qui lui a été fixé « toujours commencer par la droite, le côté de la raison ».
L’affection qu’il a pour elle et le harcèlement tendre qu’elle exerçait sur lui ont tracé une vie au cordeau. Le matin, il se lève, méticuleusement, il compte ses pas. Le samedi, il va s’acheter des vêtements, toujours les mêmes, avec Kartoffel, le chien de sa sœur. Fils pieux, accompagné par son ange gardien, l’esprit de sa mère, de sa tante, il n’est jamais seul, porté par « l’espérance dans le non-changement et la tradition ». Toute la semaine, il fait profession de postier, chargé de réexpédier les courriers dont les adresses sont illisibles. Il aurait dû ou voulu être comptable mais a échoué, est-ce pour cela que sa vies est composée de comptages et recomptages ? Sa seule fantaisie est le carnet rose dans lequel il inscrit ses petits soucis.

Le dessin au crayon à papier de Joanna Concejo accompagne merveilleusement bien ce personnage hors du temps. Affublé d’une étrange coiffure il a tout à tour la placidité et le sourire étrange d’un ange ou le ridicule d’un extra-terrestre. Dans cet univers gris, quelques couleurs introduisent un contraste. Le vivant portrait de tante Agathe, dissimulée dans la végétation ; le rose du double décimètre ou du carnet, la lumière qui le coiffe. Tout l’isole au milieu des pages jaunies comme de vieux papiers. Aussi est-il étonnant de la voir sourire au ciel, à la dernière page. Il a trouvé, un oiseau tricoté, mou et doux, mélange de rigueur du maillage et de mollesse. Il tire un fil et… De quel début est-ce la fin ? Pourquoi ce sourire ?
Un superbe album, riche de possibilités et de questions sur la filiation, l’enfermement et la liberté.