Une étoile dans le noir

Un garçonnet sans nom raconte à la première personne, l’étrange amitié qui le lie à un jeune berger exclu de sa communauté. Le narrateur est inscrit dans une famille « ordinaire », battu par son père s’il ne fait pas attention aux chèvres, il est un peu le souffre-douleur de ses frères aînés, il a peur du noir. Son ami est en complet décalage. Il ne connaît pas la peur mais éprouve vivement tristesse et douleur. Son père ? Qui est son père ? « Aimer, aimer, aimer. Je dois toujours aimer moi mais les autres ? ». Par phrases courtes, le portrait de l’ami se construit comme un puzzle. On fait connaissance avec Marie, sa mère, saisie au milieu de ses larmes. Dans l’univers sec de végétation pauvre, on apprend qu’on est près du Jourdain. Parallèlement, le crayonné délicat de Joanna Concejo fait palpiter les végétaux, les animaux, les portraits sur des papiers superposés et donne une même impression de fragments successifs. Cette étoile dans le noir est le Christ ! Cela n’a aucun écho particulier chez le narrateur qui ne perçoit que la singularité de son interlocuteur…
L’étrangeté de ce récit tient à la juxtaposition du réalisme pastoral, agreste et du sentiment évangélique. Ce jeune Christ est humain, trop humain, résigné. Les deux garçons se ressemblent et pourtant, tout les oppose. Poésie de la nature et inquiétude de la mort, violence sous-jacente entre frères, entre parents et enfants cohabitent dans une société patriarcale où les plus jeunes sont soumis. La rédemption est ignorée, tout est au niveau de la souffrance humaine. C’est la nuit du mont des oliviers « père pourquoi m’avoir abandonné » du côté de l’enfance, tout en souffrance. On reste confondu par la beauté de cet album mais si on enlève l’espérance à la crucifixion ne reste que la douleur voire l’absurdité, pas de transcendance, pas de salut… A lire, méditer, commenter.