Dans mon ours

« Parfois je rêve que j’habite dans un ours ». Ainsi commence cet album qui tresse ensemble les trois termes : rêve, ours et moi, fillette à demi-effacée que l’on devine dans les visages superposés du rêve. Le texte développe ce que permet cette cohabitation. L’ours, symbole de toute-puissance dans de nombreuses civilisations transcende les limites de la fillette. L’ours, être ours, lui donne accès à ce qui est hors de portée : « jouer à cache-cache avec la forêt, les grottes, la montagne ». En endossant la peau de l’ours, elle endosse les relations de l’ours au monde et son mode de vie « les hommes me craignent comme l’orage », « effrayer le petit poisson curieux chatouiller la perdrix ». Au bout du compte, au bout du rêve, dans la fusion tendre de cette cohabitation, « je ne crains pas le vent qui souffle le gel qui craque » et l’enfant s’ouvre au cosmos « la nuit est un rire et je la respire ». Se dessine en creux un portrait de l’enfant mal à l’aise dans le monde qui a besoin d’un truchement pour vivre au-delà de tout objet transitionnel à quoi on réduit souvent l’ours / nounours.
L’illustration rend sensible ce trouble. Les teintes douces ou vives, un peu noyées, impressionnent. Les visages, les regards qui surgissent, interrogent. Les images tellement belles et fortes pourraient effacer le texte poème, donné seul à la fin du livre pour des lectures séparées, texte et/ou images, ours et/ou enfant(e).

Un livre à rêver, pour des lecteurs sensibles à la poésie des mots et des choses.