La Terre de l'Impiété

Rachel Beck, onze ans, fugue. Elle a quitté son milieu familial, favorisé, qui « aime les choses, pas les idées » pour une longue excursion en montagne dans le sud de la France. Or, Rachel est habitée par ce qu’elle appelle « ses magies », les oiseaux qui l’attirent ; la valse des serpents qu’elle repère. Elle vit au plus profond d’elle son aspiration vers dieu, elle irradie de joie. Son besoin d’élévation se traduit par son parcours, remarquable et étonnant de jeune marcheuse au pied sûr. Pourtant, lors d’une ultime « hallucination », elle suit les chats-nuages jusqu’au bord d’une crevasse. Abdelhamid Khider observe à la jumelle, cette randonnée mystique. Ce harki septuagénaire, réfugié auprès de Philippe de Sainties, lieutenant de l’armée française en rupture d’engagement, survit dans l’ombre après l’assassinat de sa femme et sa fille par des Algériens lors de la guerre, déchiré entre son appartenance arabe de confession mulsumane et son attachement déçu à la France. Le danger vécu par Rachel lui permet de renouer avec son rôle de veilleur. Ce roman de Jean-François Chabas interpelle par les thèmes traités : les questions religieuses, la guerre d’Algérie et ses ruptures profondes, les positions des différents camps et les choix opérés selon les classes et positions sociales. Le contexte est expliqué par le romancier qui précise, informe, voire plaide en préambule. L’auteur adopte une position de moraliste dans sa condamnation de la société de consommation présente. Les personnages déroutent : une toute jeune adolescente et deux hommes âgés, soudés par un contrat personnel mais isolés par leurs histoires respectives. Pourtant les itinéraires parallèles s’éclairent réciproquement et on les suit avec un intérêt constant. Comme dans la Randonnée de Christophe Léon, les héros révélés par l’épreuve de la montagne, y trouvent leur destin mais le roman de Jean-François Chabas ouvre sur l’espoir et la réconciliation. Pour apprécier la complexité de l’intrigue et des personnages, le style soutenu, la richesse du vocabulaire, il vaudra mieux recommander ce roman à des lecteurs déjà experts ou éclairés sur les circonstances de l’action.