Si je reviens un jour... : les lettres retrouvées de Louise Pikovsky
L'avis de Ricochet
C’est une découverte très émouvante que ce récit des lettres retrouvées de Louise Pikovsky. Cette adolescente de seize ans a disparu dans les chambres à gaz d’Auschwitz avec toute sa famille, mais elle avait pris le temps, juste avant son arrestation, de déposer chez sa professeure adorée quelques lettres et sa bible…
Stéphanie Trouillard, la scénariste, est journaliste, et cette histoire lui a été rapportée par les enseignantes qui ont retrouvé ces lettres et souhaité conserver le souvenir de ces jeunes élèves raflés-es, déportés-es et disparus-es à tout jamais, le plus souvent sans laisser de trace. Le travail d’enquête, la restitution, l’implication des élèves d'aujourd’hui, ont donné un beau travail documentaire publié dans la collection des webdoc de France 24, et couronné par le Prix du reportage multimédia Philippe Chaffanjon.
Pourtant, c’est cette bande dessinée qui inscrira pour longtemps l’histoire de Louise et de sa famille dans l’imaginaire des adolescents qui la liront. Les auteurs Stéphanie Trouillard et Thibaut Lambert (le dessinateur) ont su dépasser le poids des textes, lettres, témoignages, récits de proches, pour créer un écrin fictionnel convaincant pour cette histoire tragique. Le dessin est sans compromis esthétique, plus précis dans l’évocation de l’environnement que dans le détail, et la couleur dominante est celle de la rouille, ou du passé, celle du voile du temps qui a enfoui si longtemps ce drame familial. Un drame tellement exemplaire des exactions de la collaboration à Paris, et que l’on retrouve dans d’autres témoignages[1]. Les lettres et le contexte de leur découverte sont rapportés en fin d’album, car il ne pouvait sans doute pas en être autrement pour les auteurs, qui rendent ainsi hommage à la jolie jeune fille dont on admire le regard clair sur un portrait photo. Mais, à partir de ce matériau à la fois très intime, car Louise y dévoile ses doutes et ses révoltes, son caractère passionné et loyal, et aussi très discret sur les choix familiaux, Thibaut Lambert dessine Paris sous l’Occupation, la vie quotidienne difficile, le rationnement, et quand même les habitudes qui demeurent, le lycée, les cours, les chamailleries de cour d’école, ou entre frère et sœurs, l’amitié. Il restitue, comme Claire Fauvel dans La guerre de Catherine[2], la profondeur des relations tissées, la confiance entre la jeune élève et sa professeure, et l’amour entre les parents de Louise, ce couple qui ne renoncera jamais à garder la famille réunie y compris pour le pire.
Et si l’intérêt de cet album était aussi de rappeler que, loin de la curiosité malsaine, connaître ses voisins comme ses camarades de classe permet parfois d’éviter davantage de douleur ? Ainsi l’amitié profonde, le respect, entre deux croyantes mais de confession différente, a contribué à sauver cette histoire exemplaire. Et la ténacité de celles et ceux qui la transmettent permet de rendre leur voix à tous les enfants perdus.
[1] Les enfants du 209, rue Saint-Maur, Paris Xe, documentaire de Ruth Zylberman, 2017 ; La rafle, film de Rose Bosch, 2010.
[2] Une autre bande dessinée pour adolescents : La guerre de Catherine, de Julia Billet et Claire Fauvel, Rue de Sèvres, 2017.
Présentation par l'éditeur
En 2010, lors d’un déménagement au sein du lycée Jean de La Fontaine, dans le 16e arrondissement de Paris, des lettres et des photographies ont été trouvées dans une vieille armoire. Enfouis là depuis des dizaines d’années, ces documents appartenaient à une ancienne élève, Louise Pikovsky. Plusieurs mois durant, cette jeune lycéenne a correspondu avec sa professeure de lettres. Son dernier courrier date du 22 janvier 1944, jour où elle est arrêtée avec sa famille.