Aquarelle, pain et chocolat au Centre d’accueil…
L'association Prévention de l’illettrisme dès le préscolaire a organisé une rencontre spéciale autour du livre jeunesse et de l'illustration pour les enfants du Centre d'accueil de Boudry.
L'association Prévention de l’illettrisme dès le préscolaire a organisé une rencontre spéciale autour du livre jeunesse et de l'illustration pour les enfants du Centre d'accueil de Boudry.
Le contexte
Active dans le canton de Neuchâtel, l’association Prévention de l’illettrisme dès le préscolaire (PIP) regroupe des bénévoles qui lisent des albums et des livres jeunesse dans différents lieux publics, notamment sur les places de jeux, ou encore dans certaines structures institutionnelles (EPER[1] , RECIF[2] par exemple). Les lectures s’adressent en priorité aux tout-petits, mais la réalité des contextes a conduit l’association à enrichir ses paniers de livres et d’albums pour enfants d’âge scolaire qui, même s’ils peuvent lire de manière autonome, ont toujours du plaisir à partager une lecture. L’association intervient régulièrement en milieu multiculturel, multilingue et dispose dans ses trésors de livres dans de nombreuses langues. C’est ainsi que les lecteurs et les lectrices de l’association peuvent toucher des familles éloignées du livre et de l’écrit, et offrir aux enfants dès le plus jeune âge l’occasion de découvrir cet objet «magique» qui raconte des histoires…
L’association intervient en particulier chaque semaine au Centre d’hébergement fédéral pour requérants d’asiles (CFA) de Boudry (Neuchâtel), offrant un temps d’accueil autour des livres aux enfants qui viennent seuls ou avec un parent, se faire lire une histoire, en français ou dans leur propre langue.
En plus de ces animations hebdomadaires, l’association a mis sur pied deux rencontres spéciales autour du livre, deux occasions de découvrir qu’il y a «quelqu’un» qui invente les histoires et les met en images. Après le succès d’un premier atelier animé par l’illustratrice Catherine Louis, l’association a organisé une nouvelle animation, objet de ce récit, avec le concours d’Anne Crausaz, illustratrice de talent.
L’illustratrice
Anne Crausaz est graphiste de formation, illustratrice en littérature enfantine par passion. Lausannoise, elle a passé les premières années de sa vie dans les Cévennes, où ses parents gardaient des chèvres. Doit-on voir dans cet épisode de son enfance l’origine de sa grande sensibilité aux choses de la nature? Anne fera travailler les enfants à l’aquarelle, mais elle dit utiliser essentiellement les outils informatiques pour ses créations.
Anne a publié (textes et illustrations) ou illustré plus d’une vingtaine d’ouvrages, édités pour la plupart aux éditions MeMo. Elle a reçu plusieurs prix pour son travail, mentionnons en particulier le Prix Sorcière pour L'imagier des sens (2023), qui nous intéresse ici.
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Les enfants
Treize enfants de 4 à 13 ans environ sont venus ce jour-là, ils sont sagement assis aux tables disposées en «fer à cheval». Si certains parlent le français pour l’avoir appris dans leur pays, les autres attendent les explications de la traductrice, ou tentent d’entrer en contact avec les adultes dans un anglais ou un allemand approximatifs. Pendant que l’illustratrice installe son matériel, ils attendent. Et du coup, toutes les différences s’effacent, langue, origine, âge… ce sont des enfants qui attendent: vautrés sur la table, ou raides sur leur chaise, rigolant avec les voisins et les bousculant gentiment, ou se tortillant sur leur chaise avec un visage inquiet… Universels!
L’activité
Les enfants sont installés chacun à une table avec un sous-main. Anne Crausaz a prévu de travailler à partir de l’un des livres dont elle est à la fois l’autrice et l’illustratrice: L’imagier des sens, paru aux éditions Askip. Il y est question des quatre éléments: l’air, l’eau, la terre et le feu, présentés en référence aux cinq sens (odorat, vue, toucher…). Par exemple à propos de l’air, on peut lire: «sentir une odeur de vacances, selon d’où vient le vent», «l’écouter se faufiler dans les herbes», «suivre du regard les nuages qu’il déplace»… ou, à propos de la terre: «planter des graines», «marcher pieds nus»…
Après la lecture des premières pages de l’album – lecture au besoin traduite et expliquée par les adultes présents – c’est l’exploration de l’aquarelle qui est proposée aux enfants. Anne a préparé des feuilles séparées en deux espaces, le ciel et la mer que l’on retrouve dans l’album, et que les enfants exploreront successivement, chaque fois avec un trio de couleurs (nuances de bleu, de vert et de turquoise). Mouiller le papier à l’éponge, choisir pinceaux et couleurs, remouiller, faire des taches avec la brosse à dents, éponger ou étaler avec un kleenex…
Une fois les inquiétudes et appréhensions dissipées – «je ne sais pas comment faire», «je ne sais pas dessiner» – les enfants se sont mis à la tâche avec plaisir, chacun selon son tempérament et ses goûts. Un minimum de débordements (eau renversée, disputes pour une couleur…) pour un maximum de plaisir! Une réussite!
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Un goûter et un cadeau
Les enfants sont des enfants! Au début de l’activité, les membres de l’association ont installé un généreux goûter sur une table à l’écart, et quelques enfants ont rapidement montré un intérêt plus marqué pour le chocolat et les mandarines que pour les nuances de vert et de bleu, quittant subrepticement mais brièvement leur chaise pour aller humer la tresse…
Les peintures terminées et admirées en groupe, l’heure du goûter est finalement arrivée. C’est aussi le moment où les enfants ont reçu chacun, en cadeau, le livre d’Anne Crausaz présenté au début, tissé précisément des verts et des bleus ayant inspiré les consignes du travail proposé. Un livre soigneusement dédicacé par une autrice qui s’est peut-être sentie «l’étrangère» du moment: «Comment tu t’appelles? Tu me l’épelles? Je ne comprends pas, écris-le sur un papier…».
Quelques remarques en guise de conclusion
Les enfants restent … des enfants! Ils viennent de continents différents, parlent des langues différentes, sont porteurs de codes et d’habitudes culturelles différents, mais ils se comportent comme «tous les enfants du monde», gérant les temps d’attente et la proximité du chocolat selon leur tempérament – et sans doute quelques règles sociales qu’on pourrait qualifier d’universelles. C’est une belle leçon pour les adultes que nous sommes, qui cherchons si volontiers à caractériser, classer, étiqueter.
Les enfants parlant la même langue se sont spontanément et naturellement assis les uns à côté des autres. Mais tous se sont montrés intéressés à communiquer avec les adultes sans timidité, s’essayant au français, tentant un mot d’anglais ou d’allemand, par gestes ou avec le secours de la traductrice. On a même entendu un jeune chantonner «nuage, nuage, nuage…» tout en peignant, un mot qu’il venait d’apprendre…
Ces enfants se sont montrés intéressés par l’activité, ils sont restés concentrés sur de longues périodes, patients quand il le fallait. Lorsqu’ils ont compris que la consigne était technique mais leur laissait le champ libre pour le reste, ils ont eu plaisir à mouiller, barbouiller, tester les mélanges, remouiller, fignoler des détails, gicler des gouttelettes, remouiller, pomper ou répartir la couleur avec des kleenex, peindre avec les doigts, se peindre les doigts…
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Le dernier temps, celui des dédicaces, est un moment fort. Plusieurs enfants n’ont pas compris tout de suite que le livre qu’on leur mettait entre les mains était un cadeau, pour eux, pour toujours. Mais la dédicace, dans laquelle ils reconnaissent en tout cas leur nom, écrit avec soin par l’artiste sous leur regard attentif, leur montre que, même s’ils sont «nulle part», en transit, déposés provisoirement dans un lieu fermé pour un temps incertain, ils existent, avec une identité reconnue, marquée à l’encre dans un livre cadeau…
Pour conclure, mentionnons ce câlin, offert spontanément par un petit de 6 ou 7 ans alors qu’il disait «merci», avant de partir en serrant le livre sur son cœur…
Association Prévention de l’illettrisme dès le préscolaire
[1] EPER: Œuvre suisse d’entraide protestante
[2] RECIF: Centre de formation, de rencontres et d’échanges pour femmes immigrées et suisses