Anna la vilaine

Anna est une petite fille loin de se laisser attendrir par les jolis contes ! Alors qu’elle vient d’achever la lecture du Vilain petit canard, son jugement est sans appel : tout cela est bien naïf et sans intérêt. Un petit canard qui est laid à la naissance ou un cygne d’une grande beauté : il faudrait savoir… Que de questions sur la beauté ! Est-ce qu’elle s’en pose, elle, de telles questions du haut de son petit âge ?
Justement oui. Parce que, au fond d’elle-même, ce conte ne la laisse pas si indifférente. Telle la reine dans Blanche Neige, là voilà qui interroge son miroir pour savoir si elle est toujours aussi gracieuse qu’elle ne le pense : « Depuis toute petite, je suis belle. » Mais, parce que le reflet que lui renvoie son miroir ne lui suffit pas, elle part en quête d’une réponse auprès de sa petite famille. Seulement son imagination va l’entraîner dans une étrange rêverie. Sous l’emprise de l’histoire qu’elle vient de lire, ses proches vont lui apparaître sous les traits d’animaux étranges, faune exotique et colorée : un fourmilier, un paresseux, une girafe, un papillon, un cobra, un perroquet…
Et de rencontre en rencontre, Anna en oublie la nature de sa quête. Ce qu’elle a découvert est bien plus fort : ce n’est pas la beauté qui compte, mais l’âme. La beauté est présente autour d’elle de tant de manières différentes. C’est une question d’interprétation et de perception. Tout comme l’on décide de voir le monde, avec joie, tristesse, en couleurs ou en noir et blanc. On voit ce que l’on accepte de voir. Chacun dessine sa réalité.
Fabian Negrin nous offrirait-il une réflexion sur l’esthétisme par le biais de « Anna la vilaine » ? Oui, d’ailleurs reconnaissons-le, ce sont les « grands lecteurs » -comprendre ados/adultes- qui seront sensibles à cette petite leçon philosophique. Il faut bien le dire, il n’est pas si aisé d’aborder cet album avec de jeunes lecteurs : il fait appel à une double lecture du conte (l’évocation du Vilain petit canard dans le texte de Fabian Negrin), mêle le mythe de la beauté à ceux du conte et mène une réflexion profonde sur une question abstraite et subjective qu'est la beauté.
Il n’en reste que, comme bien des titres édités aux éditions du Rouergue, « Anna la vilaine » est un album abouti qui propose aux enfants une lecture originale, instructive et poétique qui fait appel à leur imagination.