Le chemin bleu

Voici quelques années déjà qu’Anne Brouillard ne nous avait pas offert un grand album en tant qu’auteur-illustratrice. C’est Le Seuil jeunesse qui aujourd’hui nous fait découvrir ce bel album autour du souvenir, de l’enfance, et du temps qui passe (des thèmes privilégiés pour l’artiste belge). Les ouvrages d’Anne Brouillard sont parfois difficiles à aborder, pleins d’interrogations. Ce qui est dit ici ne passe peut-être pas uniquement par les mots. L’illustratrice belge est avant tout une peintre, sans pareil pour faire de l’ombre et de la lumière un grand moment sensible. Anne Brouillard, à l’inverse peut-être de certains de ces compatriotes, n’est pas une conteuse : elle est avant tout (comme l’était avant elle Gabrielle Vincent) dans ces petits riens, dans ces détails de l’existence, qui font, un jour, basculer le monde. Avec Le chemin bleu, nulle trace d’aventures extraordinaires. Seule semble compter la première image : un arbre, une école, un cheval, une cour où joue un petit garçon. Tout est dit, tout est là. Un homme, après voir beaucoup voyager, revient à cette image, à ses rêves d’écolier lorsqu’il voulait suivre le chemin bleu, aller au-delà, poursuivre jusqu’à l’horizon. Partir avec le cheval blanc, aller jusqu’au bout du monde, puis revenir dans cette école abandonnée. « Immobile dans le présent ». Anne Brouillard propose ici un grand travail de la mémoire, de l’envie au désespoir, du rêve aux aspirations déçues. Par une succession de va-et-vient, elle invite son lecteur à suivre ce cheminement, ce parcours de vie. Ici, l’illustratrice alterne les images pleine page et les vignettes (allant de trois à six). Puis vient le temps du rêve et du conte : Anne Brouillard casse alors le rythme du récit, abandonne le pastel pour la gravure noire et blanche en une succession de petites images où même le moindre détail devient narratif. L’ensemble est d’une grande sensibilité. On pourra certes dire que cet album est avant tout intérieur et intime, peu enclin à retenir un lecteur pressé. On aura surtout la sensation d’être passé par un grand moment de poésie, un mélange subtile de silence et d’écoute. Un ouvrage délicat et troublant par une grande artiste. Un grand bravo.