Le mur

Entre Do et le narrateur s’est construite patiemment une amitié indéfectible. Le narrateur le croit. Pourtant, lorsqu’un soir ce dernier quitte Do en lui disant « tu n’es plus mon ami », rétrospectivement, il est sûr que cette affirmation a déclenché l’apparition du MUR, massif, sombre.

Le thème du mur qui jaillit et sépare les enfants est fréquent en littérature jeunesse. Mur frontière, mur barrière, renforcé par les barbelés, ils symbolisent la guerre, la matérialisation de tous les déchirements. Dans l’album de Caroline Fait et Eric Puybaret, le texte imprimé discrètement est écrasé par la puissance de l’illustration tout en angles et surfaces austères, plates. La technique d’Eric Puybaret découpe l’espace en rues étroites où des militaires déroulent le barbelé. L’angle de leurs jambes, leurs bottes, leurs képis, le geste de leurs bras impriment un côté un peu vieillot qui évoque les soldats de plomb mais cela ne fait pas rire le narrateur qui les observe de côté. Le jeune garçon exprime sa tristesse et son incompréhension, perdu au milieu des hauts bâtiments. L’autrice souligne la transformation : « amis à la vie, à la mort » devient « ennemis à la vie, à la mort ». Les hommes s’affrontent, colossaux, fermés, bornés ; chaque enfant regarde de son côté, impuissant.

Le récit est construit sur l’évolution des sentiments : d’abord la sidération, puis l’habitude qui s’installe et c’est peut-être le pire moment. Passer de « je l’oublie » à « je l’ai oublié » est d’une grande violence pour l’enfant. Comment oublier ? Comment faire avec ? Et comme Peter Pan, le narrateur refuse de grandir, il est perdu au milieu des passants décidés, réduits dans une image saisissante à leurs chaussures agressives sur le bitume de la rue, jusqu’au troisième temps du récit, l’envol, l’élan. Où arrivera-t-il ? On ne sait pas. En guise de morale, l’illustrateur lègue au lecteur le sourire énigmatique du petit garçon. L’auteure, quant à elle, signe l’ultime mot du texte : « Libre ».