Le vendeur de pets parfumés

Ah, c’est sûr, les prouts, ça fait toujours marrer. Les enfants raffolent de l’humour pipi-caca, et si un livre le revendique dans son titre, la promotion est assurée. Deux résultats sont possibles : on peut aboutir à une œuvre qui botte les fesses au politiquement correct, qui sera boudée par les censeurs de joie, mais qui laissera deviner sous le vernis de grossièreté une finesse que le thème semblait interdire – prenez par exemple De la petite taupe qui voulait savoir qui lui avait fait sur la tête, de Werner Holzwarth et Wolf Erlbruch. On peut aussi très facilement glisser dans la vulgarité gratuite et la facilité : Pierre Desproges lui-même, qui n’avait pourtant pas peur de choquer, préconisait d’« élever le public à soi, ne jamais s’abaisser à lui ». Cette histoire de pets parfumés commence sur un thème classique, cher aux contes de toutes origines : la rivalité entre deux frères, le cadet et l’aîné, un benêt et un calculateur, un généreux et un cupide ; et quand le plus honnête des deux obtient récompense de toutes ses actions, l’autre, employant le même stratagème, est puni : si les poules viennent pondre dans le panier du premier, elles déposent leurs fientes dans le même panier que le second a accroché à sa porte. Alors commence l’histoire décrite dans le titre : le frère spolié mange trois haricots jaunes dans la cheminée, et ses pets se mettent à sentir bon, lui apportant fortune et reconnaissance. Quand son aîné essaye de faire de même, il empuantit la résidence du gouverneur et se fait coudre les fesses… Sans être choqué par le thème, on ne voit pas vraiment ce que cette histoire de pets apporte à l’histoire, qui reste totalement ancrée dans la lignée du début, sans surprise aucune : le gentil est récompensé là où le méchant est puni, point final. Aucune explication n’est donnée quant au pouvoir de ces fameux haricots : pourquoi ont-ils fonctionné différemment avec les deux frères ? Pour finir, tandis que le frère puni s’envole sous la pression des gaz accumulés dans ses fesses cousues, son cadet le regarde passer en s’endormant dans l’herbe, sans qu’on sache quel usage il va faire de son singulier pouvoir… Bref, une histoire qui aurait pu être originale et impertinente, mais qui finit, si j’ose dire, en cul de poisson.