L'étranger mystérieux

« C’est vrai, tout ce que je t’ai révélé ; il n’y a ni Dieu, ni univers, ni espèce humaine, ni vie terrestre, ni paradis, ni enfer. Tout est un rêve – un rêve grotesque et ridicule. Rien n’existe à part toi. Et tu n’es qu’une pensée – une pensée vagabonde, une pensée inutile, une pensée sans foyer, errante et solitaire, au sein des éternités vides. »

A Eseldorf, Autriche, en 1590, trois adolescents, Nikolaus, Seppi et Theodor, sont inséparables. Dans ce village reculé, ils reçoivent une éducation très pieuse mais les croyances populaires prennent souvent le pas sur la raison. Un jour, un mystérieux étranger du nom de Satan s’installe dans la bourgade. Il se présente comme le neveu du fameux « ange déchu » et suscite chez les jeunes gens une admiration mêlée de crainte.
Manipulateur, cynique et philosophe, Satan endosse tacitement un rôle de « précepteur » auprès du jeune trio, leur révélant la laideur de l’âme en chacun des habitants de la paroisse, qui se prévalent de détenir un grand sens moral du fait de leur foi chrétienne. Une simple bourse contenant des pièces d’or et quelques faits de sorcelleries vont révéler les personnages. Jalousie, calomnie, vanité, égoïsme ou violence sont le lot quotidien de l’humanité cristallisée autour de ces quelques protagonistes. Alors que leur sens moral devrait les distinguer du monde animal, ils ne font pas toujours bon usage de leur libre-arbitre.
Les illustrations d’Atak (Georg Barber) soutiennent ce propos et si les hommes sont laids la nature est luxuriante et provoque l’émerveillement. Les références picturales parcourent l’ouvrage en de nombreux clins d’œil : « Le Voyageur contemplant une mer de nuage » de David Friedrich est propulsé en Chine (p.104-105). Plus loin, « Le Cri » d’Edward Munch côtoie un Jedi tout droit sortie de « Star Wars » dans une étonnante scène de guerre contemporaine où se mêlent réalité et fiction (p. 141). A quelques pages du dénouement, des cercles concentriques aux couleurs vives – rappelant certains tableaux de Sonia Delaunay (p.176) – laissent deviner le vertige qu’engendrent les derniers mots de Satan délivrés à Theodor : « Rien n’existe. Tout n’est qu’un rêve. »
Le jury du Bologna Ragazzi Award ne s’est pas trompé en décernant en 2013 une mention, dans la catégorie fiction, à L'Étranger mystérieux magnifiquement illustré par Atak. La richesse d’interprétation de chaque image, les volutes de couleurs, la modernité et l’intelligence du trait, apportent en effet une nouvelle dimension au récit de Mark Twain. Enfin, la mise en page élégante (les illustrations « débordent » des colonnes de texte encadrées par un fin liséré vert), les ornements végétaux en ouverture de chapitres et les jeux sur la typographie transforment cette courte fiction amère en un étonnant conte baroque.
On ne peut que féliciter les éditions Albin Michel Jeunesse d’intégrer cette œuvre à leur catalogue. Le propos est loin des poncifs manichéens habituellement dévolus aux fictions pour adolescents. Certes, les jeunes lecteurs ne seront pas « épargnés », mais cette authenticité, en résonance avec les peintures vivifiantes et lumineuses d’Atak, n’en est que plus réjouissante !
Atak n’en est pas à sa première incursion en littérature jeunesse. Outre les albums publiés par les éditions Thierry Magnier, nous aimerions vous recommander la lecture de Pierre-Crignasse, paru aux éditions Fremok en 2011.
L’œuvre d’Atak sera exposée du 3 au 24 mars 2013 au studio Fotokino à Marseille. Des originaux de Pierre-Crignasse et de L'Étranger mystérieux seront présentés.