Lotta la filoute

Elle semble bien porter son qualificatif inédit de « filoute », Lotta, quand on la voit sur la couverture faire le cochon pendu avec sa jupe relevée, sa chevelure raide et son doudou. On voit tout de suite que Lotta est une gamine délurée qui aime prendre des risques. Mais contrairement à Fifi Brindacier, la célèbre héroïne d’Astrid Lindgren, Lotta a un frère et une sœur plus grands qu’elle. Elle est donc la petite dernière et c’est par le regard mi-attendri, mi-moqueur de Mia Maria, la sœur aînée, que nous allons suivre Lotta, quatre ans !

Le roman est composé d’une quinzaine de chapitres qui narrent les « exploits » de Lotta, saynètes comiques que le jeune lecteur peut lire comme des éléments d’une série ou d’un feuilleton. Par exemple, lorsque toute la famille la cherche et commence à s’inquiéter… elle, stoïque (c’est l'illustratrice Béatrice Alemagna qui le montre), est sous la pluie, sur un tas de fumier puisqu'au détour d’une conversation on lui a dit qu’il fallait de la pluie et du fumier pour grandir.

D’autres épisodes racontent les jeux des grands encombrés par la petite. Par exemple, Jonas, le grand frère, réussit à convaincre Lotta que pour jouer aux pirates, il faut qu’elle se couche et répète « passe-moi le sel, passe-moi le sel » sans relâche. A l’hôpital, c’est aussi elle qui est couchée. On a donc une comédie sur les rapports de force entre grands et petits dans lesquels les jeunes lecteurs se reconnaîtront.

Lotta, avec le bon sens qui la caractérise, appuie ses actions sur des arguments solides. C’est une raisonneuse. Chez le dentiste, elle n’ouvre pas la bouche parce « je ne vais pas ouvrir la bouche devant des inconnus ».

Toute la fratrie habite dans une maison de ville, un peu à l’écart, tranquille et nous faisons connaissance avec Madame Berg, la voisine bienveillante, comme tous les adultes qui déplorent avec tendresse les sottises de Lotta faites sans intention de nuire, même si elles peuvent porter préjudice aux adultes. Ainsi Madame Berg tricote des pulls pour les vendre. Un jour, Lotta essaye de tricoter et réussit très bien à faire de la laine frisée... Un jour de colère, elle veut partir toute seule, loin de sa mère et de ses grands-parents, mais se rend à l’évidence qu’elle ne peut pas prendre le train toute seule. La colère est le sentiment le plus violent qui l’habite, contre ses parents, son frère, sa sœur... mais elle finit toujours par se calmer et on garde d’elle l’image d’un petit diable bien sympathique, selon une représentation bien ancrée en littérature jeunesse.

Les faits d’arme de Lotta sont assez classiques et plutôt sages. Même si descendre du train lors du voyage représente un vrai danger, on peut dire que son personnage, d’une grande fraîcheur, est très représentatif d’un milieu européen traditionnel avec des parents, des grands-parents, des cousins, toute une famille bien structurée et d’une époque un peu datée au moment où vies rurale et citadine s’équilibrent, et c’est un des charmes de ces histoires. A cela s’ajoute la qualité de l’illustration. Béatrice Alemagna peint l’histoire. Elle détaille les petites maisons colorées, la nature où s’éveillent les enfants. Elle croque les scènes à l’unisson de l’écriture avec fantaisie et une légère mélancolie sous le signe de la bienveillance et du sourire. Un livre d’Astrid Lindgren que vivifient le trait et les couleurs de Béatrice Alemagna, à (re)découvrir.