Oublie-Nous

France, fin du XVIIème siècle. Marguerite de Champ-Fleuri, jeune fille de bonne famille, subit d'étranges maux : elle parle uniquement au temps présent, s'habille hors saison, et surtout oublie tout ce qu'on lui dit. La situation s'aggrave, Marguerite entend des voix. C'est alors qu'un long rêve en forme de voyage aux Enfers avec François, élève d'un herboriste, va lui permettre de pointer un secret de famille et de renouer avec la vie et ses sensations.
Les premières pages rappellent furieusement une Colombe du Roi-Soleil : héroïne orpheline au caractère atypique, destin à construire, rencontre avec un bel inconnu… Mais rapidement, le roman tourne au fantastique le plus déroutant. Le curieux songe de Marguerite ne s'éclaire qu'à la fin : il est assimilable à une sorte d'exercice psychanalytique sur le "devoir de mémoire" et ses contraintes sclérosantes. Comme le résume alors François : "[…] on ne peut vivre avec les morts qu'à condition de les oublier. Pourtant, on ne peut leur rester fidèle qu'à la seule et unique condition que leur histoire nous ait été transmise." (p. 72). Il y a du Freud là-dedans, et nous nous apercevons que le récit peut se relire à la faveur du parrainage des plus grands auteurs : Villon, Nerval, Virgile… s'invitent subtilement entre les lignes, et leurs réflexions – précieuses, universelles - sur la vie avec. Tout au long de son histoire, Marie-Hélène Routisseau fait fi de ces anachronismes avec le plus grand naturel, et se paye même le luxe d'une conclusion moqueuse. La langue est soutenue, le rythme et la construction maîtrisés, le choix du discours indirect libre pertinent pour cette thématique. Un roman brillant, fin, délicieux pour tous au niveau qu'il pourra ou souhaitera découvrir.