Un rêve sans faim

François David, éditeur et poète, et Olivier Thiébaut, artiste plasticien, créateur de boîtes étonnantes, ont déjà publié ensemble en 2011 un album remarqué, Les hommes n'en font qu'à leur tête (Sarbacane).

Les voici à nouveau réunis pour cet album publié par Møtus, un recueil de poèmes délicats et rythmés, magnifiés par le travail d’Olivier Thiébaut.
Rares sont les thèmes aujourd’hui qui ne sont pas abordés en littérature de jeunesse. Pourtant peu de livres, hormis les documentaires, évoquent le sujet de la faim dans le monde.
C’est pourtant le pari qu’a fait ici Møtus, en publiant ce Rêve sans faim et en choisissant la poésie comme moyen d’expression.
Dix-neuf textes de François David composent ce recueil, graves ou plus légers, explorant l’intime ou l’universel, dénonçant des « logiques » qui nous échappent, jouant avec les lettres et les mots, égrenant le temps qui passe et qui sème la mort, inexorable, comptant les grains de riz et les milliards. Ils mettent en lumière l’indifférence et l’égoïsme de certains, le profit immédiat préféré à la nourriture pour tous, la sécheresse et les guerres. Mais ils disent aussi l’espoir, les regards échangés, le bracelet au poignet d’un enfant qui l’empêchera de mourir de faim, les toutes petites choses qui, additionnées, peuvent changer le monde.
Terrible, ce texte-là, et si fort, dont voici les premiers vers :
« Le réveil sonne
J’ouvre les yeux
J’allume
Un enfant est mort
Je m’assois
Sur mon lit
Je me lève
Un enfant est mort »

Et cet autre, qui triture les mots pour en extraire d’autres sens :
« Avec les lettres de
FAMINE
Se forme le mot
INFÂME »

Et cet autre, encore, porteur d’espoir :
« Une algue
C’est glauque
C’est glissant
Visqueux
Poisseux
C’est gluant
Dégoûtant
Et pourtant
Il existe
Une algue magique
Une vraie algue
Qui guérit
Les enfants mal nourris
C’est tellement beau
Si merveilleux
Une algue »

Point d’images choc pour éclairer les mots. Mais des images sensibles, très poétiques aussi. Les montages d’Olivier Thiébaut nous montrent des objets mis en scène, sur des tissus usés et déployés. On aime ces deux cuillères en bois, l’une noire, l’autre blanche, penchées l’une vers l’autre, pour dire l’espérance ; ou la marmite cabossée où réchauffent des pierres, pour évoquer l’attente ; ou les grains de riz qui s’amoncellent, au sortir d’un entonnoir, si nombreux pourtant, si essentiels ; ou l’ombre d’une mère africaine et de son enfant, projetée sur une terre ocrée.
En écartant le réalisme, en ne montrant aucun enfant sous-alimenté, en évitant les pièges du voyeurisme et de la leçon de morale vite oubliée, en préférant ciseler les mots et inventer des images qui invitent au rêve et à la réflexion, par tous ces détours, les auteurs ont réussi leur pari. Ils nous offrent une œuvre magnifique et réveillent en nous les émotions essentielles qui font les êtres humains.

Précisons enfin que, sur la vente de chaque livre, un euro sera reversé à Sharana, ONG indienne. Dans la région de Pondichéry, elle mène des projets liés à l’éducation des enfants. Elle se consacre aussi au développement de la culture de la spiruline, cette algue dotée de pouvoirs nutritifs évoquée dans l’un des poèmes du recueil.