Tonio

Que faire lorsqu’on s’ennuie, dans une île de surcroît ? Quatre amis vivent en vase clos, et ils s’inventent une créature complexe, Panthère fait le corps, Boa, les bras, Oiseau, la tête, Papillon, les oreilles. Comme dans une comptine, le dessin construit le personnage pas à pas scandé par la satisfaction des créateurs : un personnage conçu à leur(s) image(s) ne peut être que parfait. Hélas, de l’idéal rêvé à la réalité, les démiurges déchantent. D’abord, la créature bafouille, ensuite aucune activité ne l’intéresse et enfin aucun prénom ne lui sied. A tel point que le personnage leur échappe, il s’évade. Un tel échec dans leurs visées éducatives laisse les créateurs désemparés…jusqu’à la solution inventée par Gamin lui-même, c’est le nom qu’il se donne.
Cette fable sur l’éducation, la liberté et l’accès à l’autonomie est traitée par Gaëtan Dorémus sur un mode abstrait qui peut dérouter les lecteurs. Les personnages ont une assez lointaine ressemblance avec l’animal dont ils portent le nom : Panthère, Oiseau, Papillon, Boa cassent les codes et la distance est accrue par le prosaïsme ou l’exotisme des situations, jouer au badminton ou boire une tisane ! Chaque parole est attachée par un fil à son émetteur comme dans une BD mais hors de la convention des vignettes. Enfin, dans cette tension vers l’indépendance, les étapes sont marquées par un étonnant chaînon argumentatif où dans une équation visuelle comique, l’auteur montre le résultat qui était attendu, par exemple : le silence du papillon plus la discrétion du boa devrait, logiquement, engendrer un personnage discret, sauf qu’il démontre en parallèle que si on considère le rugissement de la panthère plus le pépiement de l’oiseau plus la force de l’orage alors ne peut résulter que la puissance vocale du petit ! Face aux forces, même bienveillantes, parentales ou autres, qui contraignent l’individu, Gaëtan Dorémus excelle dans la figuration d’une violence intérieure explosive et libératrice. Une vraie leçon de morale, drôle et acidulée.