Un taxi vers la mer

Le narrateur, seize ans, habite une petite ville (on la suppose algérienne) à l’intérieur des terres. Il vit avec toute sa famille : parents, frères, sœurs, et grand-père. Cet aïeul si sage s’est mis en tête d’aller voir la mer pour la première fois de sa vie, en taxi puisqu’il ne sait pas conduire. Piochant dans ses économies, il exécute ce projet un peu fou. Pourquoi ?
Petit roman au rythme lent, Un Taxi vers la mer offre une voix originale et tendre. Le narrateur prend beaucoup de temps pour décrire un univers pourtant restreint : la ville comme à l’abandon, faite de bric et de broc et où tout le monde sait tout sur les autres, et évidemment chacun des membres de la famille, la mère aux idées bien arrêtées en tête. Les chapitres sont de petits instantanés de souvenirs et d’un quotidien comme suspendu, dans lesquels s’insère l’aventure du grand-père. Elle y prend d’ailleurs toute sa mesure : si les liens entre les proches n’étaient pas si forts, le vieil homme aurait-il fixé ce rendez-vous au bord de la mer à sa défunte femme ? L’auteur se raccroche à toutes les photos de Jean-André Bertozzi, dans leurs détails les plus précis, ce qui donne parfois l’impression de « pièces rapportées » un peu lassantes. Abdelkader Djemaï prend même la peine de donner une origine à ces images : une enveloppe trouvée près de l’usine désaffectée… Etait-ce vraiment utile ? S’affranchir davantage du principe de la collection Photo-Roman aurait peut-être donné plus de compacité à une belle histoire qui se suffit à elle-même. Le thème central en est évidemment les générations (on peut alors envisager un jeu sur les homophones mer et mère). Le jeune homme nomme son grand-père « le père de [s]on père », soulignant d’emblée l’importance de la filiation. Rassemblée sous le même toit, la famille cohabite en harmonie ; nous la voyons vivre par le regard du narrateur qui s’efface devant elle, qu’il en donne à voir les habitudes ou bien qu’il en fasse parler les membres, à leur façon de gens simples mais satisfaits. Nostalgie, tendresse, pincement au cœur devant une pauvreté contrebalancée par les liens humains… impossible de rester indifférent face à ce petit texte tout en psychologie, à décoder entre les lignes.