Les ébouriffés

Dans la forêt la nuit s’achève. Petit à petit, le jour se lève, il pleut. Dans la maison de la forêt, au bord d’un lac, trois enfants s’éveillent, prêts à partir à l’aventure, encore tout ébouriffés de rêves. Ce bel album fait contraster onirisme et drôlerie, fantaisie et poésie grâce à l’alchimie de l’entente entre l’écrivaine et l’illustrateur : « D’une cabane à l’autre, ce livre a pris vie, illuminant la brume et la pluie ». Voilà le programme annoncé dès la page de titre…

Le livre se lit en le renversant à l’horizontale, ce qui donne une certaine solennité dans le geste qui soulève la page et accompagne la découverte du texte d’Anne Cortey. Un sens de lecture symbolique pour un album tout consacré aux mystères du paysage… Le texte s’inscrit d’abord au centre d’une page blanche, comme un bref poème rythmé et symbolique, et l’illustration occupe la page suivante, dans les tons assombris par l’ombre de la nuit, puis par celle des grands arbres. La brume charge l’aube, et Thomas Baas sature la page d’un lavis gris-bleu qui donne une atmosphère fantomatique au paysage. D’ailleurs quelques nuages se mêlent aux reflets sur l’eau pour composer un étrange tableau, dont l’apparence fantastique fait frissonner le lecteur.

Pourtant quand les volets de la cabane s’ouvrent, c’est un tout autre spectacle qui va se jouer. Même sous la pluie, même dans la brume, les trois héros de cette histoire jaillissent comme des lutins malicieux et colorés : grâce à eux, la lumière anime l’environnement, illumine l’ombre, comme la zébrure orange du titre sur la couverture. Tout joyeux, les enfants s’engouffrent avec fougue dans l’aventure. La lecture est alors elle-même jalonnée de surprises ! Le rythme du texte se précipite, les mots se multiplient et se bousculent, à l’unisson des rires, et le lecteur s’amuse à suivre les péripéties acrobatiques de cette folle promenade, où la réalité météorologique le dispute au rêve éveillé d’une cavalcade sur un cheval nuage : l’image s’épanouit alors sur la double-page verticale avant de pencher dangereusement à l’oblique pour suivre la chevauchée fantastique ! Seule la fin du jour, teintée d’un rose tyrien lumineux qui contraste avec l’opacité bleue du paysage, ramènera le calme, pour conclure cette merveilleuse journée de vacances, cette belle lecture, en forêt sous la pluie.