L'ours qui voulait chanter

Que peut faire un ours avec un ukulélé trouvé en forêt ?

Tel est le point de départ très improbable de cet album plein de charme et de philosophie.

Une petite souris de hasard est prête à l’écouter puisqu’il veut chanter. Mais un corbeau piétine cette volonté et se met à chanter avec un tambourin opportunément placé sous ses pattes. L’ours dépité perd la parole et la taille du corbeau au premier plan bien plus grand proportionnellement que l’ours dit tout de suite que l’ours ne gagnera pas la partie.

Le scenario se rejoue à l’identique avec le serpent et un tambour, la tortue et un cor. Chaque animal a une bonne raison pour passer avant Ours qui n’arrive pas à s’exprimer, étouffé par les autres. Tous chantent fièrement leur condition, ingéniosité du corbeau, souplesse du serpent, domicile assuré de la tortue, malgré les efforts de la souris qui chaque fois essaie de remettre Ours en selle.

La malice des auteurs est patente : les protagonistes, le plus gros, la plus petite ne font pas le poids face aux autres et lorsqu’ils veulent conjuguer leurs efforts pour former un groupe à l’initiative du renard qui se voit bien en chef d’orchestre, Ours a perdu tous ses moyens.

L’écriture comme l’illustration mélange les vocabulaires. Le monde animal, « truffe de l’ours », les gestes humains, « gratta l’instrument » construisent l’anthropomorphisme qu’affectionne la tradition anglaise. Rigueur du dessin animalier, déréalisé par les gestes et attitudes humaines est adopté au profit d’une morale de fable. Cary Fagan, Dena Seiferling font ainsi l’éloge de la 3^ème voie: ni soumission ni compétition, un pas de côté en bonne compagnie est à rechercher.

La finesse du trait au crayon de papier et l’ambiance surannée des gris, sépia de l’illustration génèrent une tendresse sensible à l’égard du personnage principal qui n’arrive pas à exister face aux autres. En guise de philosophie, les images fluides, où la petite souris flotte au fil de l’eau sur le ventre rebondi de l’ours, offrent aux jeunes lecteurs une perspective de vie consolatrice et heureuse dès lors que l’on accepte ses faiblesses.