Chasser le chat

Sur l’illustration tout droit venue des années trente américaines, dans les tons sépia, ou caramel-chocolat, en tout cas des tons inhabituels et tout à fait captivants, s’affiche une silhouette de fillette en jupe à carreaux aux genoux, avec coupe au carré et frange à reflets. Elle se découpe sur l’ombre fantastique d’une tête de chat où les deux noms d’auteurs figurent les fentes des yeux d’un masque, vraiment cette couverture interpelle… « Chasser le chat », chasser quel chat ? Le titre énigmatique renforce la curiosité. 

Alice, puisque son polo à manches longues affiche un beau A sur son plastron, on peut imaginer qu’il s’agit de son prénom, celui aussi de l’autrice, qui d’ailleurs écrit son récit à la première personne, Alice donc s’ennuie et soupire : il pleut, et ses parents ne la laisseront pas sortir. À force de soupirer et de grogner, Alice sent qu’un chat s’est installé dans sa gorge qui la chatouille, la gratouille, ronronne, en un mot lui « rest[e] en travers de la gorge ». Elle va dès lors s’employer à chasser le chat, avec énergie et ténacité !

Le texte d’Alice de Nussy très suggestif, est suivi à la lettre par Jean-François Martin qui ponctue la page de gauche de la silhouette d’Alice dans ses différents états au fur et à mesure que ses tentatives échouent, alors que la scène se joue sur la page de droite comme sur l’écran d’un cinéma. Que d’inspiration chez cet artiste-là ! Il exprime littéralement tout l’humour du récit lui-même, ce qui rend l’ensemble irrésistible ! Face à une Alice de plus en plus furieuse, le personnage du chat se transforme à vue d’œil, en s’étirant pour prendre ses aises. La fillette finit par rugir si fort et lutter si longtemps qu’elle s’effondre épuisée et reste hébétée sur la moquette, les yeux vides… « J’étais à deux doigts de m’avouer vaincue ». 

À deux doigts, car voilà… Pour se débarrasser du matou, il reste une solution, et Alice s’empresse ! 

L’album finit bien, et Jean-François Martin peut laisser à son tour s’étirer son initiale dans l’ultime coin droit de l’histoire ! 

Pour la dernière tourne cependant, un minou au regard malicieux a pris la place, et promet au lecteur : « À bientôt. » Comme dans la chanson de Steve Waring, le matou revient… toujours ! 

Un album plein de tours et de détours, une fillette sage au caractère bien trempé, un chat masqué démasqué, une langue qui joue avec les images et inversement : cet album-là est plein d’esprit et de malice, et il ne faudrait surtout pas passer à côté !