À contresens

L’auteur et illustrateur Jean-Yves Casterman semble avoir choisi depuis son premier album, Dans ma boîte, un style empreint de douceur, de transparence que l’on retrouve dans ce deuxième titre. Un style qui s’exprime dans une trame textile qui transparaît plus ou moins selon la couleur et donne un aspect très tactile à l’image, et le rendu estompé d’un songe.

Pourtant dans ce nouvel album, la douceur est à contresens.

En effet, l’artiste privilégie un environnement urbain où carrés et rectangles définissent l’espace, avec des silhouettes d’immeubles gigantesques comme horizon, comme sur l’illustration reprise en couverture. La nature est stylisée, avec des fleurs géométriques et alignées, derrière une barrière d’un blanc très propre, coquet et domestiqué, à l’image de ces escargots qui promènent un immeuble en guise de coquille. Mais l’avenue sur laquelle l’enfant s’essaie à l’équilibre au sommet d’un mur s’appelle avenue Rosa Parks.

C’est que Jean-Yves Casterman lance un appel sans équivoque : il choisit d’apostropher le lecteur ou la lectrice pour prôner l’émancipation, le respect de soi-même, contre la standardisation des esprits, et met en scène son discours par l’entremise d’une jeune héroïne à laquelle chacun·e peut s’identifier.

Le message iconographique est absolument clair : la fillette est toujours à contresens, dès la première double-page, où elle marche dans le sens inverse de la lecture. Sur sa planche à roulettes, l’enfant intrépide accomplit des prouesses, défiant à la fois le risque et les stéréotypes sexistes. L’illustration l’encourage en représentant la déclivité radicale d’une descente, la promiscuité asphyxiante de la circulation urbaine même à contrecourant, l’absurdité du conformisme hypnotique de foules montées sur des roulettes invisibles quant à elles, dans un même geste collectif et contraint.

L’audace est exaltée y compris dans le texte, décliné comme un poème en courtes phrases rythmées, avec une allitération en « r » qui renforce l’exhortation :

Tu as tant de choses à découvrir.
Tant de routes à parcourir.
Vas-y, roule à contresens.
Qu’importe ce qu’ils pensent […].
Bâtis des ponts, franchis des frontières.
Et suis la rivière qui coule paisiblement.

Et l’enfant roule à perdre haleine franchissant un autre horizon, fait de collines aux arrondis pleins d’élan, vers la vie qu’elle choisit. Le monde autour d’elle tend à s’effacer, balayé par la détermination de ce chaperon rouge d’aujourd’hui, qui ferme les yeux sur les peurs ancestrales.

Une unité texte/image à la fois édifiante et sensible.