Ha ! : un cache-cache monstrueux

Clotilde Perrin fait sans conteste partie des auteurs qui profitent de l’occasion d’un conte pour en donner leur interprétation d’adulte, avec malice et humour, et ajouter une dimension nouvelle à ces récits si connus. Regarde par la fenêtre de Katerina Gorelik, la réinterprétation du Petit Poucet par Agnès Ledig et Frédéric Pillot en sont des exemples récents, et voilà que paraît cet incroyable album : Ha ! : un cache-cache monstrueux. La gueule ouverte sur des crocs acérés de la couverture a déjà de quoi susciter des cauchemars !

Ici, le monde des contes est revisité à la suite d’un petit héros en costume d’ours au regard malicieux. Il n’a pas l’air très craintif celui-là. Las ! Dès la première tourne, un monstre poilu^[1], pire que laid, auréolé d’une obscurité maléfique, darde un regard furieux sur le lecteur… Un texte en page de gauche l’introduit sur le mode expressionniste (« une terrible créature », « une abominable raclure ») ou carrément grotesque (« un drôle de gredin-péteur »). Mais lorsqu’on tourne la page, c’est pour découvrir un havre enchanteur, la maison des Trois petits cochons, celle en briques bien entendu ! Apparaissent aussi la maison de pain d’épices, où la sorcière qui retenait Hansel et Gretel a cuit dans le four depuis longtemps, et le château de la Belle au bois dormant, tout auréolé du feuillage vert tendre d’églantiers fleuris…

Et le meilleur reste à venir, car une fois à l’abri, la visite s’impose, et foin de la politesse ! On peut tout à loisir soulever les innombrables volets des coffres, portes d’armoire ou de grenier, voire couvertures de livres, où de nouveaux et minuscules rabats nous attendent pour révéler des formules, des blagues, des détournements (« Tout est mauvais dans le loup » !), ou des jeux de mots : une vraie caverne d’Ali Baba que ce grand album coloré, plein de vie, de fantaisie, de surprises et de rires !

Tant et si bien que les monstres passeront peut-être au second plan dans l’imaginaire de lecteurs et lectrices nourris de tous les contes célèbres, où les héros triomphent toujours des pires engeances même les plus laides et les plus cruelles. C’est en tout cas ce qui se passera pour notre ourson lorsqu’il se débarrassera de ses détestables poursuivants, qui disparaîtront dans un grand éclat de rire ! Et nombreux sont ceux qui s’en amusent encore à l’âge adulte, comme le rappelle le choix d’une citation de Stephen King en épigraphe : « Seul un esprit éveillé peut combattre ses démons ».

Un magnifique moment de lecture, une promesse de bibliothèque inépuisable, une proposition de vie aussi : le plus terrible des monstres ne résiste jamais au ridicule, le rire libère de la peur.

[1] Le Monstre poilu, d’Henriette Bichonnier et Pef, en est un autre spécimen.