Ici, c'est chez nous

Ici, c’est chez nous. Oui, mais où ça, « ici » ? Affirmation enfantine souvent prononcée dans les jeux qui opposent ici et là-bas ; nous et les autres, l’album brouille les cartes. Les murs reculent, les toits se soulèvent ; les personnages se multiplient. ICI s’étend aux dimensions du là-bas. Extension ou envahissement, le NOUS s’étend aux autres. Dans cette (con)fusion de l’espace et des individus, les conflits existent mais le texte est porté par un élan généreux et comme un rythme de chanson « il faudra leur dire […] qu’ici c’est fragile.[…] Il faudra leur dire : CHEZ NOUS TOUS, C’EST ICI. »

Le texte très simple dans son style, son vocabulaire, développe un univers raffiné, délicat, de lumière, de chats moustachus et de poissons d’argent. Le rythme de ballade est porté par l’évolution temporelle. « Au commencement », « un matin, je crois » dit l’auteur Stéphane Servant, narrateur malicieux, « un jour » et les merveilles du monde dessinées par Carole Chaix se déploient. Car les illustrations en écho décalé, amplifient à la fois la familiarité et l’étrangeté du monde. De multiples personnages, parfois « réalistes » se mélangent dans une atmosphère onirique. Le trait ultrafin de l’illustratrice que l’on a vu dans Paradiso ou Une princesse au Palais fait merveille ici. Les tailles ne sont pas respectées, les personnages aussi grands que des maisons volent, quelques clins d’œil sont adressés à des contes ou à des auteurs proches : Alice au pays des merveilles semble passée par là et le loup du chaperon ou de Mario Ramos s’invitent. Les oiseaux casqués ou masqués, observent, participent, avertissent. Un bel album, de deux auteur-illustratrice complices, riche du message chaleureux et humaniste porté par l’éditeur Rue du Monde.