Je n'ai rien dit

Une jeune protagoniste, dont on ne connaît pas le nom, est témoin des moqueries et du harcèlement que trois élèves font subir à une camarade de classe. Ces bourreaux tyrannisent la jeune fille en classe, mais aussi à la cafétéria, à la bibliothèque et même à l’arrêt de bus... La fillette témoin est bouleversée et révoltée face à cette injustice qu’elle observe de loin, mais elle ne parvient pas pour autant à s’exprimer et à prendre la défense de l’élève mise à l’écart. Son tiraillement et son inaction prennent fin lorsque le directeur intervient en classe pour dénoncer l’intimidation – notamment par messages – éprouvée par la victime, absente ce jour-là : d’abord témoin oculaire, la fillette trouve finalement le courage d’agir et de prendre la parole contre les harceleurs, car cette fois « [c]’est assez ! ».

La plume de Stéphanie Boyer est saisissante : la témoin s’adresse à la jeune fille intimidée (en « tu »), dans sa tête semble-t-il, puisqu’il n’y a pas de dialogue. L’interpellation « tu » devrait rapprocher les deux jeunes filles, mais une distance s’instaure, car la témoin « regard[e] ailleurs », comme elle n’ose « […] rien di[re]. Rien. ». Cette détresse se manifeste avec force dans les illustrations d’Élisa Gonzalez. Si le reste des élèves est monochrome, les trois persécuteurs, leur victime et la protagoniste ont chacun leur teinte, ce qui attire l’œil du jeune lecteur, qui comprend la situation sans avoir recours au texte, seulement grâce à l’expressivité des visages. Par ailleurs, la peur et la retenue de la témoin transparaissent vivement, illustrant explicitement le fait que « les mots sont restés coincés dans [s]a gorge », en somme que ses émotions douloureuses restent bloquées dans son corps. Au fil de l’ouvrage, l’accumulation des moqueries qui paralysent la témoin pèse sur le lecteur, inévitablement touché par les questions de culpabilité, de responsabilité et de solidarité. Lorsque la témoin finit par trouver le courage de se confronter aux oppresseurs, « même si [s]a voix déraille et même si [elle a] le souffle court », l’on reste quelque peu sur sa faim de ne pas voir la déroute ni la punition des persécuteurs, toujours souriants même devant leur directeur. C’est certainement la révolte du lecteur qui est ainsi cherchée et provoquée, afin de le pousser lui aussi à réfléchir et à exporter cette histoire dans sa propre situation. À travers ce récit, il est en effet rendu attentif à se soucier des autres et/ou à trouver la force de parler, de demander de l’aide.

Un album touchant et engagé, dont la trame pousse à responsabiliser chacun et chacune – peu importe l’âge finalement – dans la vie de tous les jours !