Noé Nectar et son voyage étrange

Petit bout de garçon pas bien sûr de lui, Noé Nectar s’enfonce dans la forêt. Il erre désespérément, passe de village en village sans jamais s’arrêter, et arrive finalement jusqu’à une boutique de jouets en bois cachée derrière un immense arbre. Le vieux marchand accueille volontiers ce jeune client, et lui fait visiter son antre magique… Après un gargantuesque déjeuner, le temps des confidences arrive. Tandis que Noé sort des pantins d’un coffre rangé dans un coin, le doué menuisier raconte peu à peu sa vie à Noé. Et lentement, le petit garçon fait le lien avec ses propres soucis, ceux qui l’ont lancé sur les routes : fallait-il vraiment fuir ?


Qui dit marionnettes de bois pense évidemment à Pinocchio, et le héros de Collodi sera bien convié, charge au lecteur de comprendre où et comment dans ce roman qui n’en parle absolument pas avant ses dernières pages. De facture étrange pour ne pas dire loufoque, servi par des illustrations très faussement plates, l’histoire se déroule lentement, comme un songe, ou un « conte de fées » puisque l’auteur qualifie ainsi son œuvre. Dans ce cadre alors formaté, la rencontre de l’enfant avec un homme empli de regrets sur ses erreurs passées ne pouvait pas tomber par hasard…


On devine que face à une douleur trop intense, très certainement un deuil, Noé s’est extrait du monde. Mais encore une fois, tout reste vague et sujet à interprétations puisque les sentiments du petit garçon n’interviennent qu’entre deux incises du long récit d’apparence non pas absurde, mais un peu hors sujet, du vieil homme. Les deux héros vont s’apprivoiser, puis s’appuyer l’un sur l’autre, et s’aider à aller enfin de l’avant sans rien se dire clairement. A ces différents titres, la fin rapide qui dévoile brusquement tout invite à une relecture complète afin de saisir les moments fugaces où les choses se sont dites.
Faisant face à cette drôle de mélancolie et à cette réflexion sur le temps qui passe et ses vicissitudes, de multiples détails égaient l’ensemble, façon Walt Disney : les chocolats se vexent de ne pas être mangés, le plancher se dérobe sous les pas pour mieux vous suivre, la vaisselle se fait toute seule, un chien et un âne complètement foufous gardent l’arbre et l’entrée de cette boutique magique, etc. L’ensemble délicat, sensible et mené avec originalité n’est pas sans rappeler le violent Quelques minutes après minuitde Patrick Ness, illustré par Jim Kay (Gallimard jeunesse, 2012) : même biais fantastique pour parler de l’insupportable, même façon bancale de lentement accepter la vérité, et de continuer. Beau, fort et marquant.