Une poussière d'étoile dans l'œil

Au pays des histoires de copines tellement souvent traduites de l’américain, peu d’auteures, ou d’auteurs francophones se distinguent ; Florence Medina s’engage dans cette voie périlleuse où la norme éditoriale remplace la voix de l’écrivain avec la volonté affichée d’en découdre avec cette mauvaise habitude commerciale.

Luna est une adolescente de treize ans encore physiquement dans l’enfance et qui subit quolibets et blagues idiotes dans une belle atmosphère de harcèlement à la mode dans les établissements scolaires de nos jours. Elle n’est pas la seule cible loin s’en faut, mais son esprit critique affûté n’en peut plus de toute cette mesquinerie hypocrite. Le roman démarre alors sur les chapeaux de roue car le seul remède qu’a trouvé Luna, elle l’a déniché dans un recueil de préceptes sur le développement personnel, également très en vogue ; sur un petit carré de papier, elle crache d’un stylo vengeur, et dans le respect tout relatif de la norme de l’orthographe, une petite phrase assassine sur celui ou celle qu’elle voudrait pouvoir réduire en bouillie; elle enfouit ensuite le billet sous ses culottes (propres !): ainsi évacue-t-elle le stress de ses journées de collégienne que nombre de jeunes reconnaîtront.

Étrangement, chaque individu cloué par sa vindicte se retrouvé frappé d’une maladie subite, un handicap de nature plutôt animalière, un cou de girafe, des cordes vocales de cochon, tares inconciliables avec la socialisation et éloignant pour longtemps les persécuteurs. Peu à peu Luna prend conscience que ces mises à l’écart sont directement reliées à ses propres malédictions ; pour s’en assurer, elle va tenter de provoquer l’effet inverse et de bénir d’une gratification inattendue ceux que la nature ou le destin n’ont pas vraiment favorisés ! En découvrant l’étendue de son pouvoir, Luna la dure-à-cuire cède à la panique : qui est-elle vraiment ? Et que va-t-elle devenir ?

On rit beaucoup, aux éclats même, en lisant le récit de Luna ! La maturité, l’esprit d’analyse de la gamine qui se transforme peu à peu en jeune adulte, l’acidité de ses propos, et ce côté désabusé de celle à qui on ne la fait plus sont des caractéristiques des collégiens très finement observées par Florence Medina. Mais ce réalisme au second degré ne sera pas forcément intelligible pour les plus jeunes d'entre eux auxquels pourtant s’adressent tant le titre que le design de la couverture ; l’acidité du propos ne touchera pas cette cible encore proche de l’enfance, souvent imperméable à l’ironie, et vite affectée par la disproportion, la démesure. Peut-être le roman aurait-il mérité une relecture plus constructive pour éviter à la fois cet écart entre la cible affichée et le ton choisi pour s’adresser à elle, ainsi qu’une fin bien peu plausible et trop conformiste, très décevante par rapport au potentiel des catastrophes perpétrées par l’adolescente rageuse dans la première partie du roman.

Une réussite en demi-teinte donc, pour laquelle il conviendra de bien choisir les destinataires : pas forcément ceux et celles qui s’enivrent des historiettes répétitives citées au début de cette chronique, malheureusement.