L'arrêt de bus

Dans la ville encombrée de voitures et d’immeubles, étouffé sur un banc, minuscule, Henri est assis. Comme une île au milieu des éléments déchaînés, l’arrêt de bus est son havre. Effacé par les voitures, les multiples fenêtres, on le voit à peine, minuscule, voûté. Lorsque le regard s’approche, entre un bus qui part et un autre qui arrive, il apparaît, inamovible. Le texte trace à grands traits son existence rythmée par les bus, la météo et les pas qui frappent le pavé semblent littéralement le piétiner.

Dans ce contexte, survient un événement qui change tout : « quelqu’un vint s’abriter près de Monsieur Henri ». Malicieusement, Nathalie Wyss ne nomme pas cet « intrus » que l’illustration révèle, un éléphanteau ! Elle renverse les valeurs puisque les bus humanisés sont « fatigués » et « couchés » alors que les personnages principaux sont invisibilisés par la nuit qui les couvre. Henri commence alors une lente réappropriation de sa vie. L’image de l’éléphanteau sur les genoux d’Henri est d’une grande force : prendre soin de l’autre, lire avec lui, transforme le réel. Ce mélange de précision réaliste et de fantaisie explose dans l’invasion de la ville par le troupeau des pachydermes. D’où viennent-ils ? Que veulent-ils ? Peu importe, le destin d’Henri et de l’éléphanteau en sera bouleversé.

L’illustration de Juliette Lagrange, riche d’une foule de détails, joue avec la transparence permise par l’aquarelle. Elle construit de beaux tableaux de la ville de jour. De nuit, les vibrations de lumière tremblent comme chez Van Gogh. Dans une figuration hors du temps, une image un peu vieillie de la ville, on éprouve à la fois la densité de l’environnement étouffant et la légèreté incongrue du troupeau qui envahit la ville.

Humour, amitié, solitude et solidarité, joie mélancolique et vitalité, un album à lire et relire. Une invitation à regarder autour de soi ; un livre cocasse et précieux.