La dragonne et le drôle
L'avis de Ricochet
Une carte énigmatique d’îles flottant dans l’espace, véritable et poétique invitation au voyage et tremplin d'imagination, ouvre cet étonnant et ravissant roman. Et les premières pages du livre viennent confirmer cette immersion dans un espace-temps totalement dépaysant. Le lecteur est de fait immédiatement invité à s’identifier à un personnage de « onze ans à peine », qui se nomme « le drôle », qui plus que tout aime chanter, et qui, pourtant, n’a le droit que de se taire et d’obéir aux membres de la troupe de mercenaires à laquelle il appartient… malgré lui. En effet, après avoir réchappé à la destruction de leur village causée par la guerre, son grand frère Rody, habile tireur à l’arc, a été enrôlé par le si bien nommé «Chef », lui-même accompagné de « Tanneur » « qui porte comme un blason le nom du dur métier qu’il exerçait avant ». De Tanneur, on ne s’approche « sans prévenir,
sans quoi son sang de tueur
ne demande qu’à surgir. »
Quant au « drôle », c’est contraint et forcé par sa mère, qu’il a dû suivre cette troupe de soldats sans foi ni loi, lui si sensible, si friand de rimes et de ritournelles, terrorisé à l’idée de devoir se battre.
Suite à une échauffourée dans une auberge, où le drôle a eu le malheur de pousser la chansonnette, les quatre mercenaires trouvent repli dans une forêt. Envoyé chercher du bois sec puis surpris par une pluie battante, le drôle se réfugie dans une grotte devant l’entrée de laquelle il a la surprise de voir s’écraser à ses pieds un dragon, enfin UNE dragonne, pourchassée par des aéronefs de guerre…
Quel est l’intérêt de cette nouvelle histoire de dragon, me demanderiez-vous ? La réponse est aussi directe qu’exaltée : l’originalité voire le génie de ce roman, c’est d’atteindre, par des moyens narratifs variés chaque lecteur, et de provoquer chez chacun d’entre eux des émotions universelles en donnant lieu à un écrit inclassable.
Inclassable parce que l’époque à laquelle se déroule l’histoire est indéfinissable. A la croisée de la fantasy et du steampunk, le roman s’inscrit dans la tradition du roman de chevalerie conté par le troubadour avant d’être écrit. Nous voici projetés dans une fiction teintée de médiéval où des clans ennemis, originaires d’îles célestes mouvantes, s’affrontent sur terre ou dans les airs (lorsqu’ils sont transportés dans des aéronefs), pour la gloire ou pour l’appât du gain au moyen d’arbalètes, de flèches. Cette intrusion brutale d’une modernité toute relative dont les progrès techniques ne sont guère synonymes de bien-être ni d’épanouissement pour l’espèce humaine est également soulignée par la personnalité hors-norme, bien trempée voire violente des protagonistes de ce roman qui accompagnent la destinée extraordinaire du jeune narrateur éponyme. On tremble ainsi devant les accès de colère de Chef. On pleure à chaque claque de Tanneur reçue par le drôle. On se met au garde à vous bien docilement à chaque fois que Gerfaut, à la tête des Pâles et d’une armée d’aéronefs, donne un ordre !
Inclassable, ce titre l’est également du fait de sa forme narrative. Le recours à des vers libre apporte originalité et intimité à ce récit initiatique. Si les vers rendent plus aisée la lecture de ce livre, ils témoignent en outre d’un travail important réalisé sur le vocabulaire et les constructions grammaticales. Chaque phrase est pensée et sert la narration en mettant en avant une émotion du narrateur ou un moment clef de l’action. L’inscription des mots sur les pages mime, quant à elle, typographiquement ce que le narrateur est en train de vivre : le texte prend, sous les yeux mêmes du lecteur, la forme d’une partition. L’histoire s’en trouve d’autant plus rythmée et le lecteur d’autant plus enrôlé dans les propos contés. Les aventures s’enchainent comme dans une chanson de gestes subtilement et simplement. Comme dans les tours de magie, cette apparente simplicité masque tous les effets de style autour de la langue auxquels l’auteur a procédé. Le lecteur se repaît du lexique employé, des constructions de phrase recherchées, des diverses rimes et césures, qui tranchent bien souvent avec la brutalité ou la trivialité des situations et de certains personnages. Le lecteur se laisse au sens propre « enchanter ».
Par son originalité, le roman peut, c’est vrai, déstabiliser le lecteur d'un point de vue narratif en début de lecture. En effet dès les premières pages, l'auteur nous invite à nous identifier à un personnage construit en négatif, qui n’a pas de nom ou du moins qui ne s’en souvient plus, qui subit brimades et quolibets de la part des mercenaires-braconniers qui l’ont recueilli, qui craint le mutisme de son frère avec lequel il est incapable de rentrer en communication. Et ce sont finalement la rencontre soudaine et l’amitié qui s’ensuit avec une dragonne qui va changer la vie de ce jeune personnage auquel les attributs de héros faisaient jusqu’alors terriblement défaut. Ce lien fort entre la dragonne et le drôle, décuplé par une forme de télépathie s’opérant entre eux, ouvre le jeune garçon à l’altérité et œuvre à une estime de soi dont le lecteur aura plaisir de mesurer la progression de la construction tout au long du roman. Cette estime de soi permet au jeune garçon de s’accepter, de s’affirmer et de se révolter.
Aux amateurs d’aventures, d’émotions et de style, un conseil : ne passez pas à côté de ce premier roman de Damien Galisson qui conjugue audace, inventivité et amour de la langue !
Présentation par l'éditeur
Il a une douzaine d’années, et est surnommé “le drôle” par son clan - une petite troupe de quatre mercenaires qui sévit sur ce monde d’îles flottantes. Gamin doux et rêveur, il peine à trouver sa place sous les ordres et les taloches de Chef et Tanneur. Il y a bien Rody, son grand frère, mais il ne décroche pas un mot, ne lui accorde jamais un regard. Le drôle, lui, aime par-dessus tout chanter et