27 premières

Il fallait oser, L’Atelier du poisson soluble l’a fait. Proposer un album au graphisme moderne et percutant sur toutes les premières fois de notre existence. L’exercice peut être facile, la déclinaison l’est beaucoup moins. En double page, la jeune artiste Audrey Calleja (que nous avions déjà remarqué à La Cabane sur le chien) décline ainsi ces « premières fois » que nous avons tous en commun et qui pourtant sont si personnelles. Premiers baisers, bien sûr, première nuit d’amour ou première attente. D’autres expériences peuvent être plus surprenantes : le premier pompon du manège, la première fois qu’on a volé, la première fois qu’on a entrepris un régime. Car cet album est aussi une façon d’extérioriser (ou de raconter) les premiers pas de la vie d’une femme : première épilation, premières règles, première grossesse, premier chagrin d’amour. Dans cet univers graphique volontairement décousu, c’est toute la vie d’une femme, de l’enfance à la mort, qui est passée en revue, avec parfois un brin de nostalgie (première réunion tupperware), mais aussi, au fil des pages, une impression étrange d’un corps qui se disloque et s’éteint. La dernière image où l’on ne sait trop si ce sont les enfants qui arrivent à la maison de retraite ou si c’est la veille dame sur sa chaise qui y entre (pour la première fois), interroge en somme tout l’album. Ces « premières fois » ne seraient-elles qu’une attente inexorable de la mort ? Et c’est pourtant avec ces premiers faits, ces premiers sentiments, que la vie est la plus intense, que la vie est plus belle. C’est ce que nous conte ici Audrey Calleja, dans des compositions où dominent bien souvent le noir, le blanc et le rouge, où les masques pleurent et où les anges sont en vélo. Un petit album vif et intense, aux émotions intactes, qui, même s’il ne s’adresse pas directement aux jeunes lecteurs, mérite certainement qu’on s’y attarde.