Fritz
L'avis de Ricochet
De 1870 en Inde à 1902 à Tours, la vie de Fritz, éléphant d’Asie, est comme un miroir d’un monde en profonde transformation. Racontée à la première personne, nous regardons l’Histoire à travers son regard et son ressenti. Acteur et esclave, Fritz est l’objet de tous les trafics et de toutes les obsessions des sociétés occidentales en pleine expansion, en mal d’exotisme, persuadées de leur supériorité. C’est ainsi que l’éléphanteau est capturé.
Les premières scènes de capture sont terribles, les illustrations pleine page d’Isy Ochoa, en totale empathie avec le héros terrifié, montrent la vie heureuse auprès de la mère dans le décor vert et ocre d’une nature tranquille, suivie d’une image d’animale à terre tuée par deux hommes minuscules mais armés. Au milieu d’une clairière grise, l’éléphanteau entravé est attaché à un arbre.
Suivent alors les errances, les longs voyages, d’abord le bateau, de l’Inde vers l’Afrique, de l’Afrique vers l’Europe. Les villes s’égrènent, le monde s’est agrandi, les voyages en bateau sautent les frontières mais sont vécus comme un calvaire. Les détails de saleté, les brutalités s’accumulent. Tout le récit démontre cette affirmation : « L’homme peut être sauvage ». Comme dans les zoos humains, où des populations lapones sont exhibées. L’auteure ouvre le destin de Fritz à d’autres congénères capturés, ballottés, vendus dans des cirques. Grande époque du cirque Barnum, « objet de curiosité, me voici objet de spectacle ».
Là encore la force du récit est l’assimilation du destin animal et celui des populations rejetées, les freaks. La critique que porte cet éléphant moraliste est celle d’une société vénale où le spectaculaire cache le goût du gain. Il dévoile toutes les formes de servitude et de pouvoir devant les foules ébahies.
Les longs voyages vers l’Amérique, le retour triomphal en Europe marquent cet engouement – certains diraient cette aliénation – des foules fascinées. Le monde entier applaudit le spectacle. Fritz dévoile l’arrière du décor. Les coulisses sont tristes. Monter, démonter un chapiteau; monter, descendre d’un véhicule.
La révolte, la mise à mort suivent la déambulation du cortège des éléphants dans les rues de Tours et la juxtaposition des tableaux impressionne. Sur une large double-page, Fritz mort, aux pieds d’un soigneur fait écho à l’image de la mort de sa mère. Même soumission, même tristesse. L’histoire ne s’arrête pas là puisque Fritz est encore aujourd'hui l’objet de l’admiration du public dans une vaste vitrine…
Véritable charge contre les zoos et les cirques, cet album, par la qualité de ses dessins et la diversité des informations, ouvre une réflexion philosophique sur les rapports homme-animal et la notion de sauvage-civilisé. L’image de couverture en témoigne : le yeux de l'éléphant, tristes et dirigés vers le bas, qui n’osent plus affronter le regard du lecteur, les deux boules rouges qui épointent les défenses évoquent le nez rouge des clowns tristes, tout accuse des pratiques si récentes. Outre le message, cet album est d'une grande force esthétique, l'un conforte l'autre. Magistral.
Présentation par l'éditeur
L’éléphant Fritz est né en Inde en 1870. Capturé très jeune, il est dompté dans une ménagerie de Hambourg pour devenir ensuite un animal de cirque en Allemagne puis en Amérique sous les chapiteaux des Barnum et autres Bailey. « Fritz », c'est l'histoire racontée par un éléphant qui a vécu le calvaire des longs transports, de la captivité et de la maltraitance des animaux de cirque. C'est aussi le