Le mystère du monstre

Maman raconte à Blaise, l’aîné et Achille, le petit, « le mystère du monstre ». Dans les années d’après-guerre, en Suisse, un monstre a occupé l’actualité ! En 1946, quand plusieurs moutons sont tués par une bête non identifiée, les Valaisans commencent à avoir peur ! Corinna Bille (1912-1979), valaisanne de naissance et de cœur, auteure suisse majeure, tire parti de cette peur ancestrale pour narrer sur le mode narquois, ce combat inégal entre l’homme et l’animal, au sein d’une petite communauté villageoise aimée et raillée.


Le monstre de l’histoire, apparaît une première fois alors que la famille (sauf Achille, il n’était pas encore né ! ) était partie chercher des fraises des bois. Blaise, « tout blond-bouclé, rosé, doré ! Une délicieuse bouchée pour un monstre, un vrai petit dessert » a failli être mangé dans son « pousse-pousse ». Ensuite, on suit le monstre sur les pentes, dans les forêts, à la suite du Grand-Gendarme dépêché pour le chasser ou de l’armée des vingt-deux chasseurs, une chasseresse et six chiens ! Ce monstre, ce conte c’est le jeu du furet : il court, il court de lieu en lieu, Chandolin, Val d’Anniviers, val de Bagnes… Le récit de la mère mélange joyeusement géographie réelle et événements délirants : la Bête, un léopard, un chacal, un tigre du Tibet ? « il n’est plus nécessaire de courir le monde : en Valais, on a tout ! », ajoute-t-elle. Un lynx ? Elle manipule le récit qui rebondit d’hypothèse en hypothèse, utilise les digressions : leur père qui dort à la belle étoile en plein danger et toute innocence, le Chasseur d’Afrique qui expose son savoir …. Elle grossit les péripéties, ainsi le piège, « une sorte d’attrape-souris géante » ; les dégâts causés, les bêtes égorgées, les traces, la traque… jusqu’aux épisodes comiques et peu glorieux d’Hilaire, le vacher ivrogne ou de la mort du chat de la grand-mère… Au fil du récit, l’auteure trace des portraits caricaturaux, emblématiques du petit monde villageois suisse replié sur lui-même. Elle pratique l’autodérision : le gendarme qui vient de Sion, de la ville, ne peut être qu’incompétent ; le travers d’Hilaire, sa tendance à l’ivrognerie est un clin d’œil au penchant supposé des Valaisans.


C’est un dialogue entre mère et fils qui construit le récit. Au fil de leurs réactions, les commentaires de la mère s’ajustent à la demande pressante des enfants d’où les effets de suspense « et alors ?!... C’est justement là qu’habitait le monstre. Ho ! Oui c’était là. Là qu’il avait sa maison ? Oui, sa retraite, son terrier, son antre… Sa grotte ? Oh ! Je ne sais pas. »


Enjouée, la mère joue avec la naïveté des enfants. Les illustrations de Fanny Dreier, jeune illustratrice suisse également, adoptent le même parti-pris. Peuplées de présences étranges, dans un univers végétal sombre, un peu inquiétant, vert sapin, gris, noir et rouge, surgissent les maisons ou les bottes avec de gros yeux, des animaux de la forêt inconnus…. ! Etrange ! Ce mystère voisine avec quelques dessins d’une précision de naturaliste : la violette, le Lis Martagon et le Sabot de Vénus, ou le portrait de certains animaux : tête de bouledogue par exemple. Ce contraste entre onirisme et réalisme, qui sème quelques références historiques, comme l’émergence des premières stations de ski, s’accorde à merveille aux jeux du récit pris entre réalités socio-historiques locales et fantaisie débridée.


Humour, suspense, jeu entre le réel et l’imaginaire, relations adulte- enfants tendres et chaleureuses, histoire qui joue sur les archétypes de la poursuite, de la peur et s’achève en pied de nez, une histoire d’hier et d’aujourd’hui à partager, en Suisse… ou ailleurs !