Tomber 8 fois se relever 9

Tomber 8 fois se relever 9, le nouvel album de Frédéric Marais, entre en résonance complète avec le contexte d’exploit sportif et d’inclusion porté par l’année olympique. Mais, bien au-delà de l’événement, ses lecteurs verront une filiation avec Yasuke et Le pousseur de bois dans cette fidélité à des héros qui transforment la fatalité en destinée, en dépit du déterminisme qui leur assignait un autre avenir.

Avant-guerre, Eugène Criqui est boxeur. La littérature abonde en destins brisés par la Grande Guerre. Ainsi, son itinéraire de « gueule d’ange » à « gueule cassée » paraît tout tracé.

L’art de Frédéric Marais réside dans la mise en forme esthétique de cette trajectoire incroyable : l’homme qui marche sur le pont de Brooklyn de face est celui qui affronte les Éparges, de dos, front aux barbelés en 1915 ; c’est aussi l’homme, sans visage, aux larges épaules, obstiné, prêt à reprendre son métier.

L’efficacité narrative éclate en références aux procédés cinématographiques de construction des images avec par exemple, la « même » image du monde, de la vie vue dans le compas des jambes à des dates différentes en 1915, puis en 1923. Rythme du texte, lumières et couleurs, bleu dur, saumon, noir et blanc, unissent le passé de la tranchée, le présent de gueule cassée et celui de champion.

La mise en scène n’est pas exempte d’humour lorsque les photographes alignés tirent le portrait d’Eugène et de sa « drôle de tête ». L’écriture factuelle avec dates et lieux alterne avec les paroles et les sentiments de l’auteur en sympathie avec son personnage au regard si bleu, si tendre.

Tout en pudeur et en élégance, le regard d’Eugène qui se découvre blessé nous pétrifie.

Un album bouleversant, complètement maîtrisé et fort du message qu’il porte. Livre refermé, il cogne encore en mémoire.

Pour comprendre le travail de Frédéric Marais, on lira à profit l'article Ce que cela coûte sur le site de Hong Fei. À voir aussi, l’entretien avec l'auteur.